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Franck Périnet : “Les crises déforment l’espace-temps, les procédures et les réflexes”

Directeur de l’Institut national des études territoriales (Inet) depuis trois ans, Franck Périnet va rejoindre le département d’Ille-et-Vilaine comme directeur général des services. Il livre son regard sur l’évolution de l’Inet, souligne l’importance des managers territoriaux qui interviennent en proximité et salue la récente réforme de la formation des hauts fonctionnaires.

Vous quittez l’Inet après l’avoir dirigé pendant trois ans. Que retenez-vous ?
Ces trois années en tant que directeur de l’Inet et directeur général adjoint du CNFPT [le Centre national de la fonction publique territoriale, ndlr] ont été très intenses. Nous avons pris le parti de conserver l’intégralité des scolarités et d’en assurer la continuité pour les élèves dès le début de la crise sanitaire, tout en continuant de travailler sur notre fonctionnement et nos contenus. Les promotions sont restées très mobilisées et pleinement investies ; les élèves ont gardé, dans des conditions très particulières, un haut niveau d’engagement. Je mets cela en rapport avec le fait que les collectivités territoriales autour de nous ont ouvert leurs portes aux élèves pour des stages et des études. Notre écosystème a continué à fonctionner, ce qui a permis de maintenir la qualité de la formation et de l’apprentissage, et à nos élèves d’être pleinement immergés dans les enjeux d’action publique en situation de crise. La situation que nous vivons depuis bientôt trois ans a donc aussi été un terrain d’apprentissage. Par ailleurs, moi qui suis un enfant de la décentralisation et qui ai grandi et étudié depuis le début de ma carrière dans une République décentralisée, j’observe que cette période si particulière nous a pleinement montré que l’action publique locale est efficace lorsqu’elle est au plus près des habitants. Je quitte donc l’Inet dans un esprit très positif, tout à la fois concernant la place et l’importance de l’Inet et plus largement concernant tout ce que peut apporter l’action publique de proximité.

Chaque crise apporte une configuration, un contexte et des ressorts nouveaux.

La gestion de crise devient permanente. Qu’est-ce que cela change pour les managers publics et qu’est-ce que cela change en matière de formation ?
On peut lister les crises que le pays et le monde traverse et qui sont de natures très diverses : financière, climatique, sanitaire, géopolitique… Cela entraîne un contexte d’incertitude et d’instabilité. On n’est pas certain du point d’arrivée ni du chemin pour agir. Les managers et les agents territoriaux – les agents publics au sens large – doivent évoluer dans cette incertitude sans être empêchés d’agir et sans attendre que la stabilité revienne. Mais il faut bien sûr des paramètres et un cadre d’action publique qui restent stables. Quand on dirige un collectif, il faut être préparé, c’est-à-dire en capacité de rester agile et créatif. La formation et la préparation sont donc très importantes, il faut connaître et maîtriser les fondamentaux de la gestion de crise. Il faut aussi avoir l’honnêteté de souligner qu’on ne maîtrisera jamais totalement les éléments d’une crise, parce que chacune apporte une configuration, un contexte et des ressorts nouveaux. 

Comment un manager doit-il appréhender crise structurelle et crise “du quotidien” ?
C’est en effet central. Certaines crises sont systémiques, telle la crise sanitaire ou celles liées à l’évolution du climat. Les collectivités peuvent s’y préparer. Et puis il y a les crises du quotidien, qui sont plus “confidentielles”, liées à tous les champs de nos politiques publiques locales : transport, action sociale, protection de l’enfance… Elles ont des conséquences humaines qui peuvent être très importantes. Il faut donc être en capacité d’évoluer dans un contexte “macro” tout en étant au plus près des équipes et de leur quotidien. Les crises déforment l’espace-temps, les procédures et les réflexes. Mais il faut garder la capacité de réfléchir. Il faut savoir prendre le temps d’analyser la situation pour prendre les décisions les plus appropriées. Nous accompagnons les élèves en ce sens.

La créativité et la prise de risques relèvent avant tout d’un état d’esprit.

Les managers sont en prise avec des complexités multiples et des freins normatifs, budgétaires, hiérarchiques, culturels… Sont-ils en capacité d’agir ? Sont-ils en capacité de prendre des risques ?
Je pense qu’ils le démontrent tous les jours ! Les normes ne sont pas un frein : la norme est aussi un juge de paix, c’est l’ennemi de l’arbitraire… Au-delà, les complexités sont évidemment nombreuses. Le numérique apporte des transformations rapides qui impactent la manière d’agir, de penser, de travailler ensemble. Les contraintes budgétaires sont évidemment présentes. La réalité sociale et sociétale également. Et les paradoxes sont nombreux. Prenez l’exemple de l’éolien, qui apporte une solution aux exigences de transition énergétique mais qui ne fait pas l’unanimité parce que les parcs marins ou terrestres peuvent perturber les paysages ou la qualité de vie d’un territoire. Tout cela impose d’innover et de faire preuve de créativité et de dialogue. On ne peut pas être fatalistes et subir les choses. Il faudra toujours avancer dans la complexité. Le chemin n’est pas tout tracé : ce n’est pas “suivez la flèche et vous aurez la solution”. Certes, les difficultés sont présentes, mais la créativité et la prise de risques relèvent avant tout d’un état d’esprit.

La réforme a proposé plusieurs évolutions dans lesquelles nous nous inscrivons pleinement, avec un partenariat de confiance entre les écoles de la haute fonction publique, au premier rang desquelles l’INSP.

Quel regard portez-vous sur la réforme de la formation des hauts fonctionnaires ? Faut-il aller plus loin ? 
Je suis arrivé à la direction de l’Inet peu avant la remise du rapport piloté par Frédéric Thiriez, qui proposait au gouvernement des préconisations sur le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires. Le CNFPT, à travers la voix de son président, François Deluga, s’était exprimé pour que le modèle du CNFPT soit considéré. Il n’y a donc pas eu de bloc “monolithique” de formation ni la constitution d’un moule unique, mais un équilibre qui a permis de garder l’ADN de la territoriale et de notre formation très connectée aux problématiques locales. L’équilibre entre formation aux métiers, projection sur les territoires et mise en perspective des grandes transformations est préservé. Au-delà, la réforme a proposé plusieurs évolutions dans lesquelles nous nous inscrivons pleinement, avec un partenariat de confiance entre les écoles de la haute fonction publique, au premier rang desquelles l’Institut national du service public (INSP) dirigé par Maryvonne Le Brignonen. Le tronc commun aux écoles du service public est intégré aux scolarités progressivement. C’est une avancée pour partager une culture commune de l’engagement et du service public. Ces formations évolueront et s’enrichiront progressivement. Cette agilité partenariale est très fructueuse. 

Qu’apporte le développement des classes “talents” ? 
C’est le deuxième élément très positif de cette réforme, permettant de toucher des personnes  qui ne seraient pas venus vers l’Inet ni même vers le service public. Nous avons accueilli, la semaine dernière, la deuxième promotion de ces classes “talents” de Nantes et de Strasbourg, qui permettent une progression de la diversité sociale et géographique des futurs élèves de l’Inet et donc, plus tard, des cadres dirigeants. Leur arrivée permet de faire bouger les lignes, et c’est tant mieux. Cela aura été une grande fierté que d’avoir pu contribuer à cette ouverture et à cette évolution. 

Il faut rester mobilisé pour permettre la rencontre entre les talents et le service public.

Justement, comment répondre à la perte d’attractivité du secteur public ? 
Nous constatons un fort engagement et un enthousiasme réel sur les bancs de l’Inet. Mais effectivement, certaines études relèvent le fait que le service public en tant qu’employeur aurait des difficultés à recruter des candidats pour le servir. Il nous faut certainement davantage parler de nos métiers, de leur utilité pour la société dans tous les domaines : social, sanitaire, écologique, économique… Il faut aussi mieux expliquer en quoi ces missions apportent de grandes satisfactions professionnelles et personnelles en nous permettant de participer à une aventure humaine qui relève tant et tant de défis. Il faut aussi rester prudent quand on parle d’un recul de l’attractivité : les candidatures aux concours de l’Inet sont en hausse sensible en 2022. Mais il faut rester mobilisé pour permettre la rencontre entre les talents et le service public. C’est un enjeu phare pour les années à venir. 

Que dites-vous à celle ou celui qui vous succédera ? 
Vous imaginez bien que ce n’est pas moi qui vais tracer la feuille de route de mon successeur (sourire) ! Je peux simplement dire que, si l’on croit que la décentralisation est une dimension, certes inachevée, mais essentielle de notre République, alors c’est une très belle mission et c’est un plaisir d’accueillir les futurs administrateurs, ingénieurs en chef, conservateurs de bibliothèque et conservateurs du patrimoine et de les préparer à assumer les responsabilités les plus complexes à la direction des collectivités territoriales, avec et pour nos concitoyens.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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