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Géraldine Chavrier : “Le conseiller territorial risque de mettre en péril le fait régional”

L’universitaire, spécialiste des questions territoriales, revient pour Acteurs publics sur la promesse d’Emmanuel Macron de “ressusciter” le conseiller territorial s’il est réélu président de la République.

Le Président-candidat Emmanuel Macron vient de faire part de son intention de “ressusciter”, en cas de réélection, le conseiller territorial, dans l’objectif de simplifier le millefeuille territorial et de le rendre plus lisible. Comment avez-vous accueilli cette annonce ? Pensez-vous que ce serait une bonne chose ?
Je n’ai pas du tout été surprise, pour deux raisons. La première est que nous sommes en campagne électorale et que le discours réchauffé sur le millefeuille institutionnel local a malheureusement toujours autant de succès. Cela fait douze ans que l’on impose un jeu de Meccano institutionnel aux communes, aux intercommunalités, aux départements et aux régions, sans considération des missions que ces collectivités voudraient mener en paix ; que l’on complexifie la carte avec l’ajout de communes nouvelles (par ailleurs souhaitables), de métropoles, de collectivités et EPCI [établissements publics de coopération intercommunale, ndlr] à statut particulier. Mais on continue, paradoxalement, à dire qu’il faut simplifier.
La seconde raison est que la volonté de réinstaurer le conseiller territorial de 2010, mort-né, est assez présente depuis la fusion des régions en 2015. On entend beaucoup que les régions sont devenues trop grandes et que le conseiller territorial permettrait de les “territorialiser”, de les ancrer dans une plus grande proximité. Il y a pourtant d’autres façons pour les régions de se déconcentrer que de perdre le cœur de la décentralisation : un conseil élu qui lui serait propre. On sait que le Conseil constitutionnel n’y a vu aucune atteinte à la libre administration, mais sa décision du 9 décembre 2010 [sur la loi de réforme des collectivités instaurant le conseiller territorial, ndlr] a beaucoup surpris les juristes. Très franchement, promouvoir la décentralisation et ôter au niveau de collectivités qui a des compétences stratégiques de développement économique, de formation professionnelle, de coordination et d’aménagement du territoire son conseil élu propre pour en faire un organe de représentation d’intérêts départementaux qui peuvent être divergents, c’est contradictoire. L’idée n’a pu séduire certains conseillers régionaux que parce qu’on envisage parfois un conseiller territorial à l’envers, c’est-à-dire en faveur du niveau régional, mais il sera compliqué d’inventer un système qui ne féodalise pas la région aux départements, l’élection au niveau d’une circonscription régionale étant impossible après la fusion des régions.

N’y a-t-il pas aussi l’objectif de réduire la dépense publique par la réduction du nombre d’élus ? Sans le dire, toutefois...
Vous avez raison, mais on sait que l’économie à long terme est assez faible alors que l’expérience montre que les coûts à court terme sont loin d’être négligeables. Les régions ont essuyé des frais importants à la suite de leur fusion, la réforme annoncée les y engagerait à nouveau même si ces frais seraient moindres. Les chiffrages sur les mesures de rationalisation n’ont jamais été sérieux, on se souvient des milliards d’économie, annoncées par le ministre André Vallini [il était secrétaire d’État chargé de la Réforme territoriale de 2014 à 2016, dans le gouvernement Valls, ndlr], que la fusion des régions devait autoriser : l’absence de vraie évaluation ex-ante et ex-post rend cet argument inopérant. J’ai toujours été convaincue, à la lecture de certains rapports de l’IGA, que les coûts liés à l’impossibilité de se saisir des nouveaux outils législatifs en raison d’un accaparement par la réforme institutionnelle sont bien plus grands, pour la bonne gestion publique, que les avantages.

La nouvelle ère de la décentralisation, c’est la contractualisation, le schéma de coordination, peut-être demain un chef de file qui a de véritables compétences en ce sens, pas la création d’institutions hybrides par décision étatique.

La coordination des politiques publiques conduites par les départements et les régions peut-elle en ressortir grandie ? Notamment après la loi NOTRe [portant nouvelle orgnaisation territoriale de la République]
Je comprenais mal cet argument avant la loi NOTRe, les départements et les régions ayant des compétences différentes puisque la région est le seul niveau qui n’est pas de proximité, mais je le comprends encore moins après cette loi. Celle-ci a eu précisément pour objectif de lutter contre les doublons et les mauvaises coordinations. Les départements et régions n’ont plus de clause générale de compétence, les départements ont perdu leur compétence de développement économique, les transports ont été unifiés en les transférant à la région, et la région est devenue coordinatrice avec des schémas qui s’imposent aux niveaux inférieurs à titre de compatibilité. Il reste la culture, le sport et le tourisme, compétences qu’on a souhaité volontairement conserver communes, la coordination de l’insertion et de l’emploi et de la formation professionnelle, et le soutien financier au bloc communal. L’argument de la coordination n’a presque plus de sens après la loi NOTRe. Il en a d’autant moins, pour les besoins précités, ciblés, qui demeurent, que tous les discours mettent en avant la nécessité de laisser à l’intelligence territoriale cette coordination plutôt que d’imposer un système institutionnel. Sur le terrain, on constate d’ailleurs que certaines régions signent des conventions de coordination, par exemple concernant l’accès des jeunes et des allocataires du RSA aux dispositifs de formation professionnelle qui relèvent de la région. La nouvelle ère de la décentralisation, c’est la contractualisation, le schéma de coordination, peut-être demain un chef de file qui a de véritables compétences en ce sens, pas la création d’institutions hybrides par décision étatique. En outre, si on veut évoquer les problèmes de coordination et la nécessité d’y apporter une réponse, ces derniers sont infiniment plus importants entre les EPCI et les départements. C’est même à ce niveau que la question se pose aujourd’hui.   

Lors des débats de début 2010, certains ont évoqué le risque d’instauration d’une forme de tutelle des régions sur les départements, avec la mise en place du conseiller territorial. Ces critiques étaient-elles fondées et le sont-elles encore aujourd’hui ?
À l’origine, on a pensé que le conseiller territorial marquait la fin du département. On a assez rapidement découvert qu’il marquait plutôt la fin des régions dès lors que le conseil de ces dernières était composé des conseils départementaux réunis. La question a donc toujours été celle de la tutelle des départements sur les régions et pas l’inverse, pourtant soumise pour censure au Conseil constitutionnel, laquelle censure n’a pas été prononcée. La question de savoir si la région ne serait pas soumise à la tutelle des départements n’a donc pas été tranchée par le Conseil dans sa décision du 9 décembre 2010. Ce dernier jugeant que le conseiller territorial ne confère pas à aux régions le pouvoir de s’opposer aux décisions des départements ni d’en contrôler l’exercice, il faudra saisir le Conseil constitutionnel de la capacité, à l’inverse, des départements à contrôler l’exercice des compétences des régions dès lors qu’un conseil départemental entier forme le conseil régional. 
L’intérêt régional transcende l’intérêt départemental, ce qui ne sera plus possible avec cette réforme. Imaginez une région qui veut exercer son pouvoir d’aménagement du territoire et de développement économique en renforçant l’activité économique sur un département moins favorisé : vous pensez sérieusement que les conseillers départementaux du département moins avantagé, qui ont été élus au niveau d’une circonscription départementale, dans un canton, vont accepter la mesure d’intérêt régional ? Donner une compétence prononcée d’harmonisation, de coordination, d’aménagement à la région pour ensuite la soumettre à un des niveaux qui doit être coordonné est un non-sens. Cette mesure apparaît plutôt comme une mauvaise réponse à la résurgence du fait départemental (pourtant déconcentré) depuis la crise du Covid, à l’abstention lors des élections départementales et régionales, et à la demande des départements de récupérer leurs compétences économiques. Elle met en péril le seul niveau, en France, qui est supralocal tout en étant infra-étatique.

Propos recueillis par Bastien Scordia  

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