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Réforme de la haute fonction publique : le gouvernement prié de passer à la vitesse supérieure

La fonctionnalisation des corps pâtit d’un déficit d’information des agents, en partie dû à des arbitrages encore en cours autour de la rémunération indemnitaire. Si les premiers chiffres font état d’une forte demande de reclassement des préfets et sous-préfets dans le corps des administrateurs de l’État, la situation reste très incertaine dans les inspections.

Initiée en 2021 par voie d’ordonnance dans une ambiance électrique, la réforme de la haute fonction publique est entrée, ces dernières semaines, dans sa phase de mise en œuvre la plus opérationnelle. L’année 2023 verra en effet les agents des corps fonctionnalisés – inspections, préfectorale et diplomatie notamment – se prononcer sur leur avenir : ils pourront opter pour le tout nouveau corps des administrateurs de l’État ou rester dans leurs corps d’origine, entrés en extinction.

Ils devront faire leur choix entre le 1er janvier et le 31 décembre, avec différentes temporalités d’entrée selon les situations. Ces derniers jours, les remontées du terrain auprès d’Acteurs publics font état d’un déficit d’information RH autour du fonctionnement du droit d’option, information qui tarde à être exhaustive dans les ministères alors que le calendrier a été gravé dans le marbre du Journal officiel le 3 juin 2021. 

“J’ai passé pas mal de temps à essayer de raccommoder la myriade de textes dont la publication s’est égrenée depuis l’ordonnance de juin 2021, afin d’avoir une vision globale du dispositif, glisse un haut fonctionnaire dans un ministère. Pour ce qui est de chaque cas individuel, j’ai été sollicité par pas mal de collègues qui, n’ayant pas fourni cet effort, étaient incapables de comprendre ce qui allait leur être proposé, aucun accompagnement n’étant par ailleurs assuré par notre administration… elle-même pas très au fait de ce qui se tramait en interministériel.” 

À l’Écologie, une lettre ouverte des syndicats

Au ministère de l’Écologie, les crispations sont palpables. Dans une unanimité syndicale inédite comprenant notamment l’influente Unipef, les 6 organisations syndicales représentées à l’inspection générale de l’Environnement et du Développement durable (IGEDD) ont, selon nos informations, fait parvenir en février une “lettre ouverte” au secrétaire général du pôle ministériel, au directeur de cabinet du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, à certains cadres dirigeants ainsi qu’à l’ensemble des personnels de l’IGEDD.

Ils y dénoncent les “ratés” de la mise en œuvre de la réforme et “l’incapacité” de l’administration à informer les quelque 160 agents concernés par le droit d’option ouvert par la réforme, notamment sur le classement en groupe I, II ou III d’emploi fonctionnel, qui détermine la vitesse d’avancement dans les échelons indiciaires et le niveau des primes et sur les caractéristiques “socle” des primes individuelles (montant moyen distribué, plancher et plafond). 

Après un premier échange épistolaire courant janvier avec leurs autorités, qui a permis d’apporter des informations jugées encore trop parcellaires, ils réclament dans cette lettre ouverte d’autres précisions liées à des arbitrages interministériels, ainsi qu’un délai supplémentaire pour “affermir leur manifestation d’intérêt”, une position intermédiaire créée en décembre dernier qui ne vaut pas demande de reclassement, mais permet de se positionner en attendant d’être correctement informé. 

Si les grands choix de l’exécutif macronien en matière de rémunération indiciaire sont connus – les textes et les grilles des reclassements sont parus le 24 novembre 2022 –, un point tarde à être tranché au niveau interministériel et empêche les agents de totalement se projeter : les arbitrages relatifs aux régimes indemnitaires, complexes et hétérogènes, par nature. Car si les agents se sont vu promettre une garantie de rémunération, le choix d’opter ou non pour le nouveau corps équivaudra à une balance avantages-coûts entre gains de rémunérations présents ou futurs et perte d’un statut particulier symbolique. Sollicité par Acteurs publics, le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques indique que “les travaux conduits depuis plusieurs mois sur l’élaboration d’une politique interministérielle applicable, pour la première fois, à l’ensemble des cadres supérieurs de l’État, sont entrés dans leur dernière phase et aboutiront à la mi-mars”.
 
Avec la finalisation prochaine des principes de modulation de la rémunération des cadres dirigeants nommés sur emplois supérieurs, après ceux applicables aux membres du corps des administrateurs, les services RH des ministères disposeront de l’ensemble des informations sur les termes du droit d’option, à relayer auprès des cadres supérieurs des ministères, précise-t-on de même source. Le ministère ajoute par ailleurs que la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) et la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) ont développé une offre de services en soutien des RH ministérielles dans le cadre des actions de pédagogie menées autour de la réforme : “Elles interviennent ainsi régulièrement, à la demande des ministères, pour apporter tout l’éclairage utile à une bonne compréhension des enjeux de la réforme et de ce qu’elle apporte concrètement pour les parcours et les rémunérations des cadres supérieurs et dirigeants.”

Taux de reclassement scruté

Outre les discussions sur le volet indemnitaire, la définition des critères d’accès au troisième grade du corps des administrateurs de l’État (les administrateurs généraux) est elle aussi très attendue. Si l’exécutif n’a jamais fait mystère du caractère très sélectif de ce troisième grade, la philosophie reste à préciser : faudra-t-il, par exemple, justifier d’une expérience sur un emploi à la décision du gouvernement, le plus souvent pourvu en Conseil des ministres ? 

Ce démarrage un brin laborieux de la mise en œuvre tranche en tout cas avec l’attention que semblent porter à ce dossier certaines franges du pouvoir politique. Plusieurs hauts fonctionnaires interrogés ces derniers jours restent convaincus que le taux de reclassement sera suivi avec attention au plus haut niveau de l’État. “Il y a un biais dans le raisonnement du gouvernement qui a sorti le carnet de chèques au-delà de ce que l’on aurait pu attendre : c’est de vouloir faire du taux de reclassement un des marqueurs de la réussite de la réforme”, se désole un sous-directeur dans un ministère. Or ce raisonnement ne fonctionne pas pour tout le monde".

Une anecdote a ainsi fait le tour de la Place Beauvau, où 450 préfets et sous-préfets ont un choix à faire. Plusieurs sources racontent qu’au cours d’une réunion avec les préfets, le 4 janvier dernier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, aurait indiqué qu’il regarderait qui opterait et qui n’opterait pas. “Le ton était presque menaçant, je ne sais pas si c’était vraiment l’intention, glisse une source. Je n’ai pas noté que ses propos soient ensuite repris ou déclinés. Et de toute façon, une très grande majorité avaient déjà opté.”  

La préfectorale est en effet entrée dans la réforme dès le premier coup de canon, selon nos informations. Au 1er janvier, 72 % des préfets avaient déjà fait leur choix et moins de 10 % ont fait savoir qu’ils n’opteraient pas. Passée l’émotion de l’annonce de la réforme, la Realpolitik a donc pris le dessus sur la force des symboles. Et il reste encore deux coups de canon pour opter, au 1er juillet et au 31 décembre, en particulier pour les agents en attente d’un changement d’échelon et qui n’ont pas d’intérêt à basculer avant. 

Bonus financiers

Indépendamment de leur positionnement très politique de représentants du gouvernement nommés et révoqués en Conseil des ministres, les préfets ont plutôt intérêt à opter car ils devraient obtenir en général un bonus indiciaire d’une centaine d’euros, variable selon les intéressés. Sans compter le complément indemnitaire annuel (CIA) des préfets territoriaux, qui devrait doubler même si son calcul dépendra du respect de la feuille de route d’indicateurs établie par la direction interministérielle de la transformation publique. À ce jour, quelque 10 % des préfets ont d’ores et déjà refusé d’opter. Les sous-préfets ont eux aussi un intérêt financier. Ils étaient déjà 80 % à avoir opté au 1er janvier.  

La situation dans les corps d’inspection placés en extinction paraît plus brumeuse. Les choix individuels s’opèrent alors que les craintes exprimées fortement au printemps 2021 quant au risque que ferait courir la fonctionnalisation en matière d’indépendance n’ont pas faibli. Le tout sur fond de montée en puissance des extrêmes matérialisée par les résultats des dernières élections législatives. 

Certains analystes anticipent un plus fort intérêt pour le nouveau corps chez les agents des anciens corps de débouchés uniquement accessibles en deuxième ou troisième partie de carrière que chez les agents des anciens corps d’inspection interministériels, qui recrutaient aussi des juniors en sortie ENA (Igas, IGA et IGF). Une situation qui ne paraît pas illogique au regard de l’architecture de la réforme, qui semble surtout offrir des gains financiers aux inspecteurs seniors, dans le volet indiciaire pris en compte pour le calcul de la retraite. Au Contrôle général économique et financier (ancien Contrôle d’État), à Bercy, 81 sur 87 auraient ainsi transmis fin 2022 leur manifestation d’intérêt.

Des inspections soucieuses de leur indépendance

Dans les inspections interministérielles, sociologiquement un peu plus jeunes que les autres et positionnées sur des sujets de politiques publiques plus abrasifs du point de vue de l’opinion, la fonctionnalisation pourrait aussi avoir engendré un hiatus culturel plus net autour du métier d’inspecteur de l’administration et avoir nourri la conscience collective. Une situation qui irriterait au sommet. À l’inspection générale des Affaires sociales, par exemple, on recenserait, au 1er janvier, 39 manifestations d’intérêt pour un reclassement sur un contingent de 180 inspecteurs, selon nos informations. Dans le corps de l’IGA qui compte une centaine de membres, on évoque une vingtaine de manifestations d’intérêt. Il faudra encore attendre le 31 décembre pour conclure quant au caractère valide de la grille de lecture bâtie autour des deux typologies d’inspection.  

Quoi qu’il en soit, chacun, jeune ou moins jeune, garde bien en tête la donne politique : l’hypothétique arrivée au pouvoir, en 2027 ou 2032, d’une équipe en quête de “post-vérité” ou de “réinformation”, avec des conséquences potentiellement non négligeables pour les hauts fonctionnaires, notamment ceux en poste dans les services d’inspection. Les choix des uns et des autres autour de ce droit d’option, conjugués à la pyramide des âges, au niveau de turn-over naturel dans le service (variable selon les inspections) et aux créations de postes, remodèleront la géopolitique statutaire de ces inspections et obéreront peut-être aussi leur capacité de résistance aux pressions politiques.  

À l’inspection générale des Finances (IGF), à Bercy, les inspecteurs en détachement sur emploi fonctionnel pourraient bien devenir majoritaires dans cinq ou six ans. À l’inspection générale de l’Administration (IGA), place Beauvau, ce pourrait être plus long. D’ores et déjà, certaines mesures symboliques et préventives sont prises. Soucieuse de se protéger, la prestigieuse inspection générale des Finances a ainsi obtenu du gouvernement l’inscription d’une nouveauté dans le décret réformant son statut, à paraître prochainement : dans le rapport annuel d’activité publié chaque année sur son site, les inspecteurs généraux pourront dresser un état des lieux public sur l’indépendance et les éventuelles atteintes. Demain commence aujourd’hui. 

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Club des acteurs publics

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