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Robin Degron : “Finances publiques et environnement : question de principes”

Souvent réduite au budget vert, l’interaction entre les finances publiques et la transition écologique pose en réalité des questions larges et profondes au droit financier. Une analyse de Robin Degron, haut fonctionnaire des finances et de l’environnement, professeur associé à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne. 

Face à un dérèglement climatique avéré, une perte de biodiversité préoccupante et une gestion devenue problématique de la ressource en eau, il ne suffit plus de constater les dégâts. Il faut les réparer, voire restaurer des conditions meilleures au bénéfice du Vivant.

Face à l’ampleur de la tâche, "chacun doit faire sa part" comme disait l’agronome Pierre Rabhi. Encore faut-il hiérarchiser les défis à relever afin de ne pas s’épuiser. Si les finances publiques doivent évoluer pour s’adapter à la transition écologique, il faut alors remettre sur le métier les principes anciens de notre droit budgétaire : annualité, unité, universalité, spécialité. Il convient aussi de questionner les relativement nouveaux principes de sincérité et d‘équilibre, héritages de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 et de nos engagements européens lors du Traité de Maastricht de 1992. 

Un principe d’annualité désuet
Les chantiers à mener, que ce soit sur le plan énergétique, dans les bâtiments, les transports, au sujet de l’adaptation aux effets du dérèglement climatique, en termes de préservation de la biodiversité et de la ressource en eau, impliquent forcément le long terme. L’Union européenne s’est donné environ 30 ans pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Face à ces défis, le sacro-saint principe d’annualité de notre droit financier paraît désuet (1). Sans mésestimer l’importance de la validation parlementaire annuel de la loi de finances, force est de constater que les lois de programmation des finances publiques devraient être le pilier de l’action de long terme de l’État en adossant perspectives de recettes et de dépenses avec un agenda concret de réalisations participant à la transition écologique. Contre-exemple de ce qu’il faudrait faire, l’absence de vote de la loi de programmation 2023-2027 à l’hiver 2022 souligne la carence d’une feuille de route physico-financière à la hauteur des enjeux (2). Poussé par la Cour des comptes et la Direction du Budget depuis des années afin de "tenir un trajectoire" macro-budgétaire soutenable, le principe de pluriannualité s’impose aujourd’hui pour tendre vers un développement durable.

Dans une perspective de développement durable, le principe d’unité entendu au sens des seules finances de l’État apparaît inopérant pour faire face aux enjeux de la transition écologique

Un principe d’unité étroit
Toujours rivé sur les lois de finances de l’État, moment fort du débat public parlementaire et médiatique, nous oublions souvent que l’essentiel des dépenses opérationnelles qui font la vie des territoires, leurs logements, leurs espaces naturels, leurs transports, la gestion de leur air ou de leurs déchets, est le fait des collectivités locales. De fait, dans une perspective de développement durable, le principe d’unité entendu au sens des seules finances de l’État apparaît inopérant pour faire face aux enjeux de la transition écologique. C’est désormais l’unité des acteurs publics, centraux, déconcentrées et décentralisés, qui est au cœur de la réussite d’une société bas-carbone. Confrontée au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, la voie la plus réaliste pour donner corps à l’unité d’action environnementale publiques réside sans doute actuellement dans le mode contractuel. À toute chose malheur est bon, la crise de la Covid-19 et le plan de relance du pays nous ont appris qu’il était possible, à l’échelle intercommunale, de rassembler les moyens de l’État et des collectivités, autour de contrats de relance et de transition écologique (CRTE). A la fois plus recouvrant du territoire national et plus fins sur le plan de leur application géographique que les volets territoriaux des contrats de plan Etat-région, les CRTE sont sans doute l’avenir de la transition écologique(3). Encore faudrait-il y adosser des moyens financiers pérennes, lisibles et prévisibles pour les élus locaux afin d’assurer la continuité de l’action publique. Une utilisation plus ciblée des prélèvements sur recettes de l’État au profit des collectivités territoriales, pour ne pas dire une conditionnalité du soutien de la Nation aux territoires, participerait sans doute d’une unité effective de vision et d’action écologique partagée. 

Des principes d’universalité et de spécialité assouplis
La non-affectation a priori des recettes publiques au financement d’une politique donnée est un des fondements du pouvoir donné au Parlement de répartir les produits perçus par l’État. Il souffre d’ores et déjà quelques exceptions comme par exemple les taxes sur l’eau qui vont directement alimenter le budget des agences de bassin, dite agences de l’eau, et participe aussi à la prise en charge de l’Office français de la biodiversité. Cette application du principe environnemental pollueur-payeur n’est pas sans intérêt pour garantir une certaine parcimonie dans l’utilisation de la ressource en eau ainsi que la continuité des politiques de l’eau et de la biodiversité. Sans forcément systématiser cet outil, le champ de la transition écologique se prête cependant bien à la mise en place d’une relation forte entre une source de pollution et les dispositifs de prévention ou de lutte. Sur le plan de l’acceptation sociale aussi, il fait sens de relier une taxation carbone, sorte de signal prix d’internalisation des externalités négatives des émissions de gaz à effet de serre, avec des mécanismes de compensation pour des populations particulièrement sensibles à l’usage de leur véhicule. Avec le recul, la crise des gilets jaunes témoigne de la nécessaire liaison à opérer aux yeux des citoyens entre efforts écologiques et cohésion socio-territoriale (4). 

Le principe de spécialité qui veut que toutes les dépenses d’un budget public soient précisément définies par son objet demeure quant à lui une assurance de transparence de l’action publique. Il reste toutefois un certain intérêt à conserver, voire à développer, des instruments d’ores et déjà à disposition tels que les fonds de concours qui permettent de réunir plusieurs financeurs autour des projets complexes d’aménagement durable du territoire. Le financement des infrastructures de transports est un exemple de champ impliquant nécessairement une certaine fongibilité des crédits entre Etat, opérateurs et acteurs locaux. 

L’équilibre budgétaire n’est pas facile à concilier, par définition, avec le déséquilibre qu’implique une grande transition sociétale

Un principe de sincérité élargi aux enjeux de l’environnement
Peu connu, pourtant porté par l’article 32 de la LOLF, souvent confondu avec le principe comptable de sincérité des comptes, le principe de sincérité budgétaire veut que l’État expose de manière la plus honnête possible, en fonction des données dont il dispose au moment de l’élaboration de son budget, ses recettes et ses charges prévisionnelles. Sous la pression de la transparence voulue par LOLF mais aussi de celle du Semestre européen et de la Commission européenne, la France a sensiblement progressé sur cette question. Elle fait l’objet d’un suivi scrupuleux du Haut conseil des finances publiques et de la Cour des comptes dans son rapport annuel sur le budget de l’Etat. 

L’élargissement de la notion de sincérité aux conséquences environnementales des lois de finances est récent. Il repose sur le fameux « budget vert » mis en œuvre à partir de 2021 dans le sillage du One Planet Summit (2017), des réflexions de cadrage de l’OCDE et de leur déclinaison concrète par les travaux conjoints de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et de l’Inspection générale des finances (IGF). Sans doute peut-on aller plus loin dans : l’exhaustivité de la cotation des dépenses et des recettes de l’État qui sont pour l’instant assez marginalement couvertes ; la finesse des choix opérés pour qualifier de « favorable », « neutre » ou « défavorable » telle ou telle dépense publique. En écho avec nos réflexions sur « l’annualité désuète » et « l’unicité étroite », la priorité serait cependant, selon nous, de donner une vision pluriannuelle et qui intègre les collectivités à l’exercice de transparence que représente la budgétisation verte de la Nation (5).

Un principe d’équilibre financier mis à mal par la nécessité de faire transition
Suggéré par la LOLF et imposé par l’Ordre macro-budgétaire européen avec les fameuses règles du Pacte de stabilité et de croissance qui vont revenir à partir du projet de loi de finances pour 2024, l’équilibre budgétaire n’est pas facile à concilier, par définition, avec le déséquilibre qu’implique une grande transition sociétale. Paradoxalement, tendre vers une société bas-carbone impose un surcoût, une sorte de catalyse pour reprendre un mot de chimiste, afin d’abaisser le niveau d’énergie de notre système de vie, l’isolation de nos logements, bureaux et entrepôts, le développement des modes transports collectifs alternatifs au recours aux déplacements individuels encore largement motorisés thermiquement. Ces investissements ne sont pas sans intérêt non plus pour la cohésion sociale du pays puisqu’ils permettent aux Français les plus dépendant de la voiture de s’en affranchir, y compris, et c’est là le plus difficile, dans des zones peu denses, dans la périphérie des métropoles.

Que dire aussi de la relance du parc électronucléaire, dont l’électricité produite sera le facteur limitant de la transition énergétique nonobstant l’essor des énergies renouvelables. Toutes ces dépenses d’investissement d’avenir, au sens courant du terme, coûtent et vont coûter. Sans négliger le besoin d’une gestion publique économe, force est de constater que les acteurs publics doivent faire face à un regain de dépenses, transitoires, mais indispensables pour construire une société plus résiliente et durable. Le retour à une certaine forme d’orthodoxie budgétaire, que porte en germe le retour du Pacte de stabilité et de croissance, appelle une certaine mesure ou, à tout le moins, une façon différenciée de comptabiliser les dépenses d’investissement utiles à la transition écologique des autres dépenses. Il serait en effet contradictoire que l’Union européenne prône un Pacte vert (European Green Deal, 2019) ambitieux en même temps qu’elle rognerait les moyens des Etats-membres de le mettre en œuvre. La notion d’équilibre budgétaire est donc relative au contexte, pas seulement du cycle court économique, mais aussi du cycle long, du Kondratieff, dans lequel il s’inscrit.

La transition écologique implique finalement de repenser les cadres d’action publique, en commençant par les principes budgétaires fondamentaux sur lesquels elle repose. Voire plus loin, plus large, ensemble Etats-territoires, avec transparence et un ambitieux réalisme écolo-économique, voilà peut-être les plus belles leçons financières à tirer du respect de notre environnement. Soutenabilité financière et développement durable sont alliés.

1.RD, « La pluriannualité budgétaire, une avancée contrariée en dépit de son utilité », Gestion&Finances publiques, n°6, novembre-décembre 2022.
2.Robin Degron, « Pluriannualité et performance : Droit budgétaire européen et national, fertilisation croisée », Gestion&Finances publiques, n°3, mai-juin 2017.
3.Robin Degron, « Le « Budget vert », entre mythe et réalité », Revue Française de finances publiques, à paraître au printemps 2023. 
4. RD, « Les finances publiques vertes en France : entre ambition écologique et réalités socio-fiscales », Revue Française d’Administration Publiques, n°179, novembre 2021.
5. Robin Degron, « Fiscalité verte et « budget vert » : Critiques écologiques et perspectives financières », Revue française de finances publiques, n°153/Février 2021.

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Club des acteurs publics

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