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Brigitte Grésy : “Il faut créer une délégation interministérielle des droits des femmes et de l’égalité”

À la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur la politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par l’État, Brigitte Grésy, ancienne cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité et ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, estime que la Rue Cambon réussit son diagnostic mais déçoit dans ses préconisations.

Brigitte Grésy, ancienne cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité et ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Que l’égalité entre les femmes et les hommes soit la grande cause de ces deux  quinquennats, nul ne l’ignore, tant cette formule galvanisante et porteuse d’espoir a été et est toujours maintes fois répétée. Des progrès notables et indubitables ont été soulignés par la Cour des comptes : l’important exercice du “Grenelle des violences conjugales” qui a initié un mouvement de partenariat sans précédent, les travaux autour de la gouvernance des entreprises et de la fonction publique, car on sait que la qualité de la décision publique exige une gouvernance partagée entre les femmes et les hommes, les différents temps forts et plans stratégiques interministériels sur des sujets précis (éducation, mutilations sexuelles, prostitution des mineurs) ou dans une approche globale, comme le plan interministériel sur l’égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars dernier.

Quant au budget du service des droits des femmes, il a augmenté de 139 % par rapport à 2017, atteignant un montant de 53,2 millions d’euros en 2022. Et la liste est loin d’être exhaustive. Alors oui, les progrès sont là et les avancées aussi, et il convient de les valoriser tant il est important de reconnaître ce qui est fait, avant de souligner, avec force, tout ce qui reste à faire. Car l’accumulation des chantiers qui restent à traiter donne le vertige : au-delà de la question des violences, si fondamentale, citons la précarisation et la faible valorisation des emplois féminins, l’inégalité persistante des rémunérations, une parentalité toujours bancale, une prise en compte de la santé des femmes souvent inadaptée et des droits sexuels et reproductifs parfois menacés, y compris en France, faute de structures adaptées, et qui tardent à être intégrés dans la Constitution. N’oublions pas non plus le sexisme, qui gangrène nos institutions, créant des poches de résistance qui freinent ou désagrègent l’application des droits des femmes. N’oublions pas, enfin, l’appel des femmes opprimées dans le monde.

Dans la fonction publique, la fin justifie rarement un surcroît de moyens.

Certes, la Cour des comptes s’intéresse aux moyens humains et financiers et non à la légitimité des contenus des politiques publiques. Mais ses deux critiques principales méritent toute notre attention : l’absence de programme global apte à fédérer toutes les énergies interministérielles et des défaillances dans l’évaluation des mesures adoptées, qui vont jusqu’à empêcher d’élaborer des données, compte tenu de l’absence d’indicateurs fiables. Les data ne sont pas au rendez-vous.

Nous savons bien pourtant que toute politique publique doit être précédée d’un diagnostic de l’existant, cadrée par des objectifs précis, suivie enfin par une évaluation à l’aide d’indicateurs clairs. Nous savons bien que, depuis le lancement de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), en 2001, nous avons intégré nombre de réflexes inspirés des techniques de gestion du privé. Nous répétons avec gourmandise ces deux mots savoureux, l’efficience et l’efficacité, qui permettent de jongler avec les moyens et les fins, sachant pourtant que, dans la fonction publique, la fin justifie rarement un surcroît de moyens. Et nous sommes attentifs aux évolutions à venir liées à la transition numérique, portées par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Nous savons tout cela et nous pourrions mieux faire.

Mais notre organisation actuelle ne permet pas de faire autrement. Et c’est là que la Cour des comptes rate, à mes yeux, la seule solution viable à court terme, mais qui exige beaucoup de moyens, et donc difficile sans doute à promouvoir pour une institution gardienne des comptes publics. Sa recommandation essentielle, au-delà de l’instauration d’un programme national systémique sous forme de plan interministériel, se résume à confier au service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE), 4 missions fondamentales mais terriblement demandeuses de moyens humains et financiers : l’élaboration, le suivi et l’évaluation de la feuille de route interministérielle ; le suivi de la mise en œuvre et l’évaluation systématique de toutes les actions financées par le programme budgétaire “Égalité” ; la production de connaissances et l’animation des réseaux. Voilà que le service des droits des femmes et de l’égalité, comportant aujourd’hui 25 personnes, est invité à remplir seul ces missions, tâche infaisable bien sûr en l’état de ses moyens ; infaisable aussi en raison de sa difficulté à promouvoir une parole légitime, perdu qu’il est au sein d’une grande direction générale de la cohésion sociale.

Ne masquons pas la sociologie très forte des organisations dans la fonction publique.

Car ne masquons pas la sociologie très forte des organisations dans la fonction publique. Les réunions interministérielles à Matignon sont un modèle du genre : places réservées, notamment à l’équipe des conseillers budgétaires, qui vont jusqu’à déloger, avec un zeste de mépris, d’autres conseillers qui n’auraient pas compris les codes. Les rapports de force jouent à plein, en fonction de la légitimité supposée de tel ou tel ministère : les petits ministères susurrent, les grands ministères assènent. Alors, comment un service de 25 personnes au niveau national peut-il arriver à faire entendre sa voix dans une arène interministérielle aux codes et aux pratiques gravées dans le marbre ? Les solutions ne sont donc pas dans le maintien de l’existant.

À l’évidence, il faut désenclaver le SDFE, noyé au sein d’une direction générale. Aujourd’hui plus que jamais, il convient de l’abriter au sein d’une délégation interministérielle des droits des femmes et de l’égalité, placée auprès de la Première ministre et sous l’autorité de la ministre chargée des Droits des femmes. Cela suppose un renforcement très important des effectifs et des moyens financiers.

Et puis pourquoi laisser de côté le rôle éminent du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), auquel la Cour ne donne que le rôle d’évaluateur des politiques publiques, alors même qu’au moins deux des missions réservées par la Cour au service des droits des femmes et de l’égalité sont actuellement prises en charge par le HCEfh (la construction d’outils méthodologiques, la production de connaissances et de propositions innovantes en matière de politiques publiques) ? Là aussi, les moyens doivent accompagner les missions.

Pour mener à bien une politique publique, essentielle à notre pays, pour être conforme à cette volonté affichée d’une grande cause nationale, il faut des moyens renforcés et une géographie nouvelle qui soit capable de porter l’interministériel. Seule une délégation interministérielle est en position de le faire. C’est une question d’efficacité et d’efficience.

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