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Christian Volle : “Les manquements aux obligations d’accessibilité numérique doivent enfin être sanctionnés”

Aucune sanction n’a jamais été prononcée contre une administration pour défaut d’accessibilité de ses sites Web ou applications aux personnes en situations de handicap. Dans cette tribune, Christian Volle, chargé de mission “accessibilité numérique” pour l’association Valentin Haüy*, rappelle les acteurs publics à leurs obligations légales et appelle surtout à repenser le mécanisme de sanction, pour que leurs manquements ne restent plus impunis.

D’après la loi, l’ensemble des sites Internet publics devraient être accessibles aux personnes handicapées depuis mai 2012. Dans la pratique, il n’en est rien. Cela vient notamment par le fait que le non-respect de la loi n’est pas sanctionné. Dans son plaidoyer pour l’accessibilité numérique, l’association Valentin Haüy milite pour la mise en place d’une autorité de contrôle et de sanction dotée de moyens pour agir. La révision de la législation liée à la transposition en droit français de la directive européenne 2019/882 relative à l’accessibilité des produits et services constitue l’occasion de mettre enfin en place un dispositif de contrôle et de sanctions, indispensable au respect de la loi, et donc à l’avènement réel de l’accessibilité numérique. 

20 millions de personnes handicapées

En France, on estime qu’il y a environ 20 millions de personnes handicapées. Plusieurs handicaps ont des impacts sur l’utilisation des ressources numériques, mais il existe des moyens de les compenser. Ainsi, pour les personnes aveugles, un logiciel appelé “lecteur d’écran” permet de restituer l’information sous forme vocale (ou en braille) ; comme seule une information textuelle peut ainsi être restituée, un texte de remplacement doit être associé aux images porteuses d’information. Toujours pour les personnes aveugles, il est nécessaire de pouvoir naviguer exclusivement au clavier, l’information doit être correctement structurée et les vidéos doivent faire l’objet d’une audiodescription ou d’une transcription textuelle.

Le handicap en France (source gouvernement.fr).  Visuels : 1,7 million de personnes.  Auditifs : 7 millions de personnes.  Moteurs : 7,7 millions de personnes.  Psychiques : 2,8 millions de personnes.  Intellectuels : 1,5 million de personnel  Cognitifs.  Troubles autistiques.  Polyhandicaps

Pour les personnes malvoyantes, il faut assurer un contraste correct entre la couleur du texte et celle de son arrière-plan. Pour les personnes sourdes ou malentendantes, l’information doit être fournie sous forme textuelle : sous-titres pour les vidéos, retranscription textuelle de vidéos ou de fichiers audio. Pour les personnes empêchées d’utiliser la souris par un handicap moteur, il faut offrir la possibilité de naviguer exclusivement au clavier. L’accessibilité numérique est la mise à la disposition de tous les individus, quels que soient leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques ou mentales, des ressources numériques.

Les obligations légales actuelles

L’obligation d’accessibilité des sites Internet des organismes publics a été introduite par la version initiale de l’article 47 de la loi “Handicap” du 11 février 2005. Les textes d’application de cette loi prévoyaient une mise en accessibilité au plus tard en mai 2011 pour les organismes d’État et en mai 2012 pour les communes. Ces échéances n’ont pas été respectées.

La version actuellement en vigueur de l’article 47 de la loi de 2005 résulte de dispositions adoptées en septembre 2018 à l’occasion de la transposition d’une directive européenne relative aux sites publics. Le dispositif a été complété avec le décret du 24 juillet 2019 et l’arrêté du 20 septembre 2019 portant référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA).

En l’état actuel des textes, ce que sanctionne la loi, ce n’est pas le défaut d’accessibilité, mais le non-respect des obligations déclaratives.

L’accessibilité des services de communication au public en ligne est désormais une obligation pour les organismes publics et les entreprises privées réalisant un chiffre d’affaires annuel d’au moins 250 millions d’euros. 

Pour ces organismes, la loi précise que “l’accessibilité des services de communication au public en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique, quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation, en particulier les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique”. 

Au-delà de la mise en accessibilité, les organismes concernés ont pour obligation de publier sur leur site :
•    en page d’accueil, une des mentions “accessibilité : totalement conforme”, “accessibilité : partiellement conforme” ou “accessibilité : non conforme” ;
•    une déclaration d’accessibilité détaillée ;
•    un schéma pluriannuel de mise en accessibilité d’une durée maximum de trois ans et le plan d’action de l’année en cours.

En l’état actuel des textes, ce que sanctionne la loi, ce n’est pas le défaut d’accessibilité, mais le non-respect des obligations déclaratives. Pour les sites publics, les dispositions s’appliquent à compter du 23 septembre 2020.

Non-respect généralisé de la loi, notamment par ceux chargés de la faire appliquer

Début 2023, il s’avère que la loi n’est absolument pas respectée. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) fait état d’une statistique indiquant que 3 % des sites Internet seraient aujourd’hui accessibles. S’agissant du respect des obligations déclaratives, la situation est aussi mauvaise. En mai 2022, la Fédération des aveugles de France a publié une étude montrant le très faible niveau de respect des obligations de mentionner le niveau de conformité en page d’accueil (7,5 % des sites publics) et de publier une déclaration d’accessibilité (14,6 %). Au plus tard le 23 septembre 2020, les organismes publics auraient dû publier un schéma pluriannuel de mise en accessibilité ; en octobre 2022, l’association Valentin Haüy a publié une étude menée sur 59 organismes (46 publics, 13 privés) montrant que cette obligation n’était absolument pas respectée : 46 (78 %) des organismes examinés n’ont pas publié de schéma pluriannuel ; sur les 13 ayant un schéma, 8 n’ont pas publié les plans annuels prévus.

Dix-huit ans après la loi du 11 février 2005, l’échec de la politique publique menée en matière d’accessibilité numérique est patent.

Il y avait donc largement matière à sanctionner (20 000 euros par site Internet défaillant) ces manquements aux obligations déclaratives. Mais le ministère chargé des Personnes handicapées, à qui la loi a confié la mission d’infliger ces sanctions, n’a strictement rien fait. Il était en effet très mal placé pour agir de manière crédible car lui-même ne respecte pas la loi.

Dix-huit ans après la loi du 11 février 2005, l’échec de la politique publique menée en matière d’accessibilité numérique est patent. Il est en grande partie lié au fait qu’aucune sanction n’est appliquée aux organismes qui violent la loi.

Il faut tirer les enseignements des politiques publiques qui ont réussi, par exemple celle relative à la sécurité routière. Celle-ci n’a porté ses fruits qu’à partir du moment où elle a combiné un ensemble cohérent de mesures :
1.    formation-sensibilisation de tous les acteurs ;
2.   contrôle rigoureux du respect des règles ;
3.   sanction de ceux qui ne respectent pas les règles ;
4.   affectation de moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux.

Dans un domaine plus proche, celui relatif à la protection des données, on observe que le RGPD [le réglement européen sur la protection des données personnelles, en vigueur depuis mai 2018, ndlr] est dans l’ensemble correctement respecté parce que la loi prévoit des sanctions réellement dissuasives (jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires) et que la Cnil est chargée du suivi du respect de la loi.

Avec son plaidoyer pour l’accessibilité numérique, l’association Valentin Haüy a attiré l’attention du gouvernement et des parlementaires sur le sujet en militant pour la mise en place d’une autorité de contrôle et de sanction dotée de moyens pour agir.

Une avancée a été constatée à l’occasion des travaux de transposition en droit français de la directive européenne 2019/882 relative à l’accessibilité des produits et services. Le texte définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 28 février prévoit en effet que le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance “toute mesure […] visant à renforcer le régime des sanctions des manquements aux obligations prévues à l’article 47 de la loi n° 2005-102 […] notamment à l’obligation d’accessibilité des services de communication au public en ligne”. Il conviendra de veiller à ce que le contenu de l’ordonnance ne vienne pas remettre en cause cette avancée majeure : les défauts d’accessibilité doivent être sanctionnés de manière dissuasive pour que la loi soit respectée. Dans son plaidoyer, l’association Valentin Haüy a proposé que l’Arcom [l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ndlr] soit désignée comme autorité de contrôle.

* L’association Valentin Haüy a été créée en 1889 par Maurice de La Sizeranne et reconnue d’utilité publique en 1891. Elle soutient et accompagne depuis plus de 130 ans les personnes déficientes visuelles pour leur permettre de gagner en autonomie. Elle s’appuie sur plus de 120 implantations locales pour accueillir, conseiller et informer les personnes aveugles ou malvoyantes et pour les aider à développer leur autonomie, à mieux s’intégrer dans la vie quotidienne et à retrouver une vie sociale.

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Club des acteurs publics

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