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Francis Massé : “Aborder la formation par la filière professionnelle”

Pour répondre aux enjeux de transformation publique, il faut aborder la formation professionnelle dans le cadre d’une coopération forte entre secteur public et privé, explique l’essayiste et ancien haut fonctionnaire Francis Massé, auteur de La Logotique*.

La formation professionnelle est l’un des vecteurs clés pour réformer l’État ou moderniser nos organisations publiques comme nos entreprises. Il y a certainement encore beaucoup d’investissements, y compris financiers à opérer pour y arriver. Mais c’est aussi un problème de conception initiale.

À la vérité, la thématique de la réforme de l’État est sans doute de moins en moins comprise. Car elle englobe beaucoup d’éléments tels que :

• Le volet constitutionnel et la question des institutions publiques (président, gouvernement et parlement), l’autorité judiciaire et les modalités de séparation des pouvoirs ; la Constitution elle-même ; 
• L’administration de l’État, ministères et établissements publics ;
• Les autres collectivités publiques, communes, départements et régions ;  
• Les délégations de service public (DSP) et les organisations en charge de services publics tels les Caisses d’allocations familiales (CAF), Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), Pôle emploi, les fournisseurs d’énergie (EDF, GDF), les gestionnaires de transports publics (SNCF) ; 
• Certes les opérateurs de l’État sont des organismes distincts de l’État, au statut juridique public ou privé, auxquels est confiée une mission de service public de l’État. Mais ils sont placés sous son contrôle direct en majorité par lui et contribuent à la performance des programmes auxquels ils participent.

Les opérateurs mobilisent les subventions pour charges de services publics : les plus importants dans le PLF pour 2023 sont les universités (12,3 milliards d’euros), le CNRS (2,9 milliards d’euros), le CEA (1,8 milliard d’euros) et Pôle Emploi (1,3 milliard d’euros).

La Cour des comptes évaluait en 2021 un ensemble de près de 500 organismes publics et des financements équivalant à 16 % des dépenses du budget général auxquels il faut ajouter environ 20 000 établissements publics locaux. Or une société est en ordre lorsque l’ensemble des acteurs économiques sont mobilisés autour d’une activité bénéfique à la société.

Cette “cohabitation” entre secteur public et secteur privé est généralement perçue comme souhaitable et positive même si elle peut prendre plusieurs formes selon les pays ou les époques. Mais le secteur public est largement fragmenté comme on vient de le souligner. Ce millefeuille territorial, une division État/opérateurs, un nombre vertigineux d’organismes, trop de ministères, ces multiples structures relèvent d’un constat qui a été maintes fois dénoncé.

Mais comment agir en cohérence dans ce magma ?

Les entreprises créent des richesses mais le secteur public, lui, crée de la valeur ne serait-ce qu’en assurant une paix sociale durable et la tranquillité publique. Encore faut-il qu’il soit unitaire dans sa diversité ! 

Il existe donc potentiellement une forme de convergence dans les finalités dans la mesure où les acteurs publics et privés sont au service de la société et des citoyens. 

Par exemple, les entreprises qui fabriquent du savon contribuent à l’objectif de la propreté et de l’hygiène publique, vecteur nécessaire de santé publique. Le profit n’est pas dans ce contexte une finalité, c’est un objectif indispensable pour pérenniser l’activité de l’entreprise. Le débat politique ou idéologique efficace n’est donc pas de savoir si oui ou non une entreprise peut faire du profit ; elle le doit pour survivre.

Le débat est de savoir la part optimale de ce profit dans l’équilibre global, son origine (par exemple une activité polluante ou une production écologique, une gestion humaine des salariés ou une exploitation indécente) et sa répartition entre différents bénéficiaires (investissements de l’entreprise, salariés, actionnaires, impôts, clients).

Nous posons comme principe que le secteur public, selon son champ de compétences, peut être affecté à une filière particulière.

Cette coopération entre l’État et les entreprises, sans omettre celle entre les entreprises elles-mêmes, qui est cruciale, est un élément essentiel de compétitivité d’une nation ou d’une confédération (l’Union Européenne) ou une fédération d’États.

Deux derniers éléments sont à citer. Le premier consiste à rappeler ce que souligne Henry Mintzberg, selon qui une société est faite d’organisations dont la qualité du management a des conséquences sur l’ensemble de la société.

Le second concerne l’idée que la filière professionnelle que l’on nommera ici écosystème est la dimension pertinente où procède l’innovation. C’est là de fait que se combinent les facteurs de production (ressources humaines, capital et progrès technique). Nous posons comme principe que le secteur public, selon son champ de compétences, peut être affecté à une filière particulière, citons la santé ou le transport à titre d’exemples. 

Après cette longue mais nécessaire introduction, il est alors possible d’évoquer l’indispensable transformation publique qui est devant nous et, d’une manière générale, les mutations de notre système économique et social face aux changements et transitions de toutes natures, sociale, économique, écologique, énergétique, climatique, géopolitique, etc.

Comprenons ici que la transformation à conduire dans les différentes organisations est une réponse interne face aux mutations de l’environnement des entreprises et de l’État pris au sens large. Or il existe trois dimensions, trois domaines qui doivent être agis : l’organisation elle-même en tant que structure, la gouvernance et enfin le management des connaissances, des compétences, des équipes, etc.

Ce dernier domaine est celui qui nous intéresse ici. Il est naturellement essentiel et sans aucun doute le plus complexe. Pour le faire évoluer, la formation professionnelle est un vecteur clé.

Observons en effet que de fait, lorsque nous parlons de transformation des organisations, ce ne sont pas les organisations, ces objets abstraits, qui changent, ce sont les femmes et les hommes qui travaillent dans ces organisations qui évoluent. 

C’est pourquoi une formation professionnelle est un investissement immatériel incontournable.

Toutefois, compte tenu de ce nous avons analysé précédemment, nous proposons une solution originale qui consiste à développer un format novateur de formation professionnelle que nous nommons “logotique”.

La « logotique » peut être appliquée dans plusieurs secteurs et à plusieurs échelles pertinentes

Il s’agit a) d’une formation professionnelle collective au niveau d’une filière professionnelle et non dans une branche professionnelle, b) dans le cadre d’une coopération entre le public et le privé et c) réunissant des professionnels issus de l’ensemble des parties prenantes de cette filière professionnelle. 

Une fois précisé ce format, il suffit d’organiser une formation et une pédagogie adaptées aux caractéristiques de la filière professionnelle concernée.

Ce type de formation a été expérimenté puis développé depuis sept ans dans la filière aéronautique et du transport aérien par la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et l’École nationale de l’aviation civile (ENAC) avec l’appui et l’implication étroite de l’industrie.

Des modules de formation permettent de s’approprier 360° de l’écosystème et une parfaite compréhension pour développer ensuite des coopérations entre les différentes parties prenantes qui le constituent.

Ainsi en 2017 l’Enac a créé en son sein une formation professionnelle nouvelle nommée Université du transport aérien (UTA) qui réunit en format interentreprises des professionnels issus des différentes parties prenantes de la filière ou écosystème : avionneur, motoriste, supply chain aéronautique, ground handling, aéroport, compagnie aérienne, contrôle de la navigation aérienne, régulateurs, administrations et agences publiques comme la DGAC. 

Organisée en 6 modules d’une semaine chacun, cette formation est exigeante mais permet de constituer pour l’avenir des viviers de professionnels possédant un langage commun et une expérience inédite de travail en commun. Cette formation permet non seulement de contribuer à renforcer la cohésion de l’écosystème et sa cohérence opérationnelle, mais encore d’éviter l’entre-soi en s’ouvrant aux différentes attentes de l’environnement. 

En conclusion, quelques points pour forcer les évidences. Le concept est simple et sa validité a été prouvée en grandeur nature. Mais simple ne veut pas dire facile. 

On ne réformera pas l’État si l’on ne met pas en contact, dans un tiers lieu que peut constituer une formation professionnelle puissante et exigeante, les fonctionnaires avec leurs homologues et partenaires du secteur, écosystème par écosystème. Le service public, c’est le service du public. 

La nécessaire réindustrialisation de notre pays et de l’Europe et la décarbonation corrélative de l’économie dans le cadre de la planification écologique lancée par le gouvernement (ou le Green Deal de l’Union européenne) ne peut pas ne pas passer par une prise de conscience et une évolution des esprits. Par une mutation des méthodes d’intelligence collective qui ne peuvent qu’avoir lieu dans le cadre d’une coopération accrue entre entreprises d’une même filière, voire entre filières professionnelles ou écosystèmes. Par exemple, il est inimaginable de réussir la décarbonation du secteur aérien sans partenariat avec l’écosystème de l’énergie.

La “logotique” peut être appliquée dans plusieurs secteurs et à plusieurs échelles pertinentes, sous la réserve d’une analyse et d’une cartographie intelligente du secteur d’activité considéré ; car il est important de n’oublier aucune partie prenante et de développer une approche autant stratégique et prospective que pragmatique.

Enfin, cela va de soi, ce format pédagogique se nourrit des meilleures innovations pédagogiques avec au centre une intense participation des auditeurs et auditrices et un travail collaboratif et des interactions intenses. Ouvrir l’État, écosystème par écosystème, à son public, c’est lui permettre de se transformer en toute connaissance de cause.

* La Logotique, une formation inédite pour décupler la créativité des écosystèmes, Francis Massé, L’Harmattan, 182 pages, 21 euros.

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Club des acteurs publics

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