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Frédéric Thiriez : “Le risque de cooptation est l’obsession des partisans du maintien du classement”

Dans cette interview accordée à Acteurs publics, l’avocat et ancien membre du Conseil d’État revient sur l’annonce de la suppression du classement de sortie de l’INSP, l’établissement qui a remplacé l’ENA le 1er janvier dernier. Suppression qu’il préconisait dans le rapport sur la haute fonction publique qu’il a remis à l’exécutif en février 2020. Le risque de cooptation est “parfaitement maîtrisable” avec la nouvelle procédure de sortie, juge Frédéric Thiriez.

Comment accueillez-vous l’annonce de la suppression du classement de sortie de l’INSP ?

Le temps de la réflexion a fait son œuvre du côté du gouvernement et je m’en félicite. L’exécutif est revenu, après hésitation semble-t-il, à la solution que nous proposions dans notre rapport. La suppression du classement de sortie est une réforme indispensable si l’on veut une école de hauts fonctionnaires qui remplisse pleinement sa mission de formation. Ce classement existait par facilité. Son maintien permettait d’éviter de se poser des questions. Les élèves choisissaient leur affectation en fonction de leur rang de classement, ce qui évitait tout soupçon de complaisance, de favoritisme ou de cooptation. Le maintien du classement restait néanmoins un anachronisme.

Vous critiquiez déjà ce classement de sortie dans votre rapport de janvier 2020. Pourquoi ?

Tout d’abord, le classement ne garantit absolument pas l’adaptation des profils et des motivations des élèves aux besoins de l’administration. Je ne connais pas beaucoup d’organisations où ce sont les employés qui choisissent leur employeur. D’ailleurs, beaucoup d’écoles, y compris du service public, n’ont plus ou pas de classement. Ensuite, et tous les élèves vous le diront, l’obsession du classement rend impossible toute scolarité véritable et tout enseignement modernisé. Durant leur année de scolarité, les élèves passent plus de temps à subir des épreuves de classement qu’à apprendre. Résultat, ils n’apprennent rien durant cette année. Ils apprennent en revanche durant leurs stages. Enfin, comment voulez-vous donner une formation professionnalisante à des gens qui ne savent pas quels seront leurs métiers à leur sortie de l’école ? Ce n’est plus possible.

Pourquoi ce n’est “plus possible” ?

Quand vous êtes à l’école des Mines vous savez que vous serez ingénieur des Mines. Mais quand vous entriez à l’ENA, aujourd'hui l’INSP, vous ne savez pas si vous serez affecté au Conseil d’État, à la Cour des comptes, aux affaires sociales, à la culture ou dans la préfectorale. On ne peut donc pas en faire une école d’application. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous proposions de créer des “dominantes” pour les élèves. Selon leurs goûts, les élèves pourraient ainsi s'inscrire en “dominante” économique, juridique, internationale, sociale, territoriale, …

Le classement de sortie va être remplacé au profit d’une “procédure d’affectation visant à assurer un appariement profil/poste”. Les élèves devront faire acte de candidature pour les emplois proposés avant une procédure d’entretiens. N’y a-t-il pas un risque de recréer une certaine forme de cooptation de la part des employeurs avec la nouvelle procédure prévue, employeurs entre lesquels la concurrence promet d’être féroce ?

Je ne vais pas renier la proposition que nous avons faite ! Le risque de cooptation est l’obsession des partisans du maintien du classement. Le risque est néanmoins parfaitement maîtrisable dès lors que l’on tente, en fin de scolarité, pendant une période que j’imagine d’un mois, de rapprocher les vœux des élèves des souhaits des administrations. Et ce, au vu notamment des notes obtenues par les élèves et, aussi éventuellement, de la dominante qu’ils auront choisie. Et si un blocage existe vraiment, alors une commission pourrait départager les cas difficiles. À ce propos, je pense aussi que la mise en extinction de certains grands corps de l’État et la fin de l’accès direct dans les grands corps juridictionnels facilitera le rapprochement de l’offre et de la demande.

Comment expliquez-vous les tergiversations de l’exécutif autour de ce classement de sortie ?

Autant notre mission a été très vite unanime sur la suppression du classement de sortie, autant je peux comprendre que le gouvernement ait hésité. C’était une manière pour lui de ne pas être accusé d’arbitraire : le choix en fonction du classement évite toute discussion… Pour autant, la qualité de la formation dans la nouvelle école m’importe plus que ce risque de procès d’intention. La professionnalisation de la scolarité au sein de l'INSP doit être le principal objectif. On dit souvent que cet établissement doit être une école d’application. Elle ne l’est pas aujourd’hui et elle ne pourrait pas l’être si on maintenait ce système du classement de sortie.

Propos recueillis par Bastien Scordia

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Club des acteurs publics

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