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Isabelle Saurat : “Sur les nouvelles politiques publiques, il faut penser « accessibilité » dès le départ”

Nommée en janvier dernier à la tête de la délégation interministérielle à l’accessibilité nouvellement créée, Isabelle Saurat nous expose sa feuille de route dans un domaine où les défis à relever restent nombreux, et ce à tous les niveaux.

Dans quel contexte avez-vous été nommée ?
En octobre 2022, s’est tenu un comité interministériel du handicap qui a acté le principe de création d’une délégation interministérielle à l’accessibilité. J’ai été nommée le 19 janvier 2023. La délégation interministérielle à l’accessibilité, par nature, a pour mission d’intervenir dans tous les champs ministériels. Le décret de nomination a été signé par 5 ministres*. Cela montre la volonté de faire de ce sujet un sujet interministériel. Je suis rattachée à la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq ; c’est elle qui porte ces sujets au quotidien. La vision que nous avons de l’accessibilité est une vision universelle. Quand on rend un bâtiment ou un applicatif accessible, on facilite la vie d’une large population. Nous avons une vision partant de l’utilisateur, de l’usager. Nous parlons de cheminement de l’usager, de parcours de l’usager, il ne faut plus qu’il y ait de ruptures. Certaines applications sur smartphone sont accessibles mais lorsque l’on fait la maintenance, on oublie de remettre l’accessibilité. Ce genre de choses est au cœur de ce que l’on peut appeler l’accessibilité universelle pour les personnes handicapées et bien au-delà, il faut avoir en tête que cela contribue à améliorer les conditions de vie de tout le monde, dans le cadre d’une politique globale du bien-vieillir notamment. 

Quelles méthodes allez-vous adopter et quelles sont exactement vos missions ?
Je suis principalement sur des missions de coordination. Les spécialistes de l’accessibilité sont dans les ministères et sont les porteurs de ces politiques. Il s’agit, pour la délégation, de se positionner en amont. Quand on prépare une politique publique, il faut toujours se poser la question de savoir si on pense toujours à l’accessibilité, si celle-ci est native ou non. Les nouveaux dispositifs devraient tous être accessibles nativement, dès leur conception. Il est beaucoup plus facile et moins cher de mettre en place des politiques inclusives dès le départ plutôt que de retricoter au-dessus. Il faut impérativement être dans l’accessibilité dès le départ sur les nouvelles politiques publiques ; sur tous les dispositifs, les circulaires, les arrêtés qui sortent dans les ministères, on doit se poser la question de l’accessibilité.  

Travaillez-vous également en contact direct avec les territoires ?
Absolument. Je suis chargée de la mise en œuvre de mesures en faveur de l’accessibilité dans les territoires en mobilisant le réseau des sous-préfets au handicap et à l’inclusion nommés auprès des préfets de département. Ces sous-préfets ne font pas que cela, mais ils ont cette mission additionnelle. À l’occasion de l’anniversaire de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la ministre chargée des Personnes handicapées [Geneviève Darrieussecq, ndlr] leur avait par exemple demandé d’organiser des dispositifs partout en France, ce qui avait donné lieu à 200 événements mobilisant associations, services publics et entreprises. C’est l’une de leurs premières actions collectives. Il faut savoir que la situation est très hétérogène en matière d’accessibilité, dans les collectivités locales. Certaines sont très engagées, d’autres le sont moins et ont, bien souvent, moins de moyens, ce qui rend les actions plus compliquées.

Je mènerai mon action en lien étroit avec les sous-préfets.

Quels sont vos dossiers prioritaires ?
Ma priorité sera également de travailler sur le pilotage de la mise en œuvre des décisions issues de la Conférence nationale du handicap (CNH) sur l’accessibilité, et en particulier sur le bâti. J’ai aussi la charge de l’accessibilité numérique sur les dispositifs qui permettent de rendre une application informatique ou sur smartphone accessible aux aveugles et malvoyants. Enfin, je travaille aussi sur l’accessibilité téléphonique, qui permet aux personnes sourdes ou malentendantes d’accéder à des services par téléphone quand elles en ont besoin et d’être appelées. Mais je m’intéresse aussi aux données disponibles en matière d’accessibilité, pour pouvoir mesurer les progrès réalisés. Peut-être qu’une organisation professionnelle saurait le dire, mais je suis aujourd’hui, par exemple, incapable de dire combien de boulangeries sont accessibles, or ce sont des commerces de proximité indispensables. Et si j’ai besoin des données pour rendre compte, les usagers en ont besoin pour pouvoir se déplacer plus facilement ; c’est l’objectif de la plate-forme collaborative en accès libre, à laquelle chacun peut contribuer.

En matière d’accessibilité, les services publics ont d’ailleurs encore du chemin à parcourir…
Ils ne sont pas les seuls, et la situation reste hétérogène. Pour la téléphonie, c’est pourtant une obligation depuis 2016, mais force est de constater que la qualité de service, en particulier du fait du temps d’attente, est souvent médiocre. Je vais également travailler autour des jeux Olympiques et Paralympiques. Je m’insère dans tout ce qui a été enclenché, mais je vais concentrer mes forces là où je peux être la plus utile et apporter une valeur ajoutée. L’écosystème est à la fois complexe et dispersé. Le rôle des associations de personnes handicapées et celui des élus et de leurs associations sont essentiels. La concertation est ancrée dans l’élaboration de la politique publique du handicap. Je suis encore dans la phase où c’est sur le terrain que j’apprends à connaître les difficultés quotidiennes que rencontrent les personnes handicapées. Ce sont des belles rencontres, toujours instructives. Qu’est-ce-qui, selon vous, a amené à la prise de conscience de se mobiliser sur le sujet ? Force est de constater qu’il y a un retard à rattraper. La loi sur l’égalité des droits et des chances, qui introduit un droit à l’accessibilité universelle, date de 2005 et dix-huit ans après, on constate les uns et les autres que c’est encore loin d’être une réalité partout. Même sans être spécialiste, on peut vite constater les manquements. Le diable se situe dans les détails. Des choses ont été faites, mais on n’est pas au bout du chemin. Un élan va être donné avec les jeux Olympiques et Paralympiques et les travaux du Grand Paris et vont permettre d’ouvrir de nouvelles stations et lignes de transports. Avoir une délégation qui agit tout le temps sur la question de l’accessibilité et dont c’est la mission montre bien qu’il faut mettre un coup d’accélérateur.  

Quels sont ou seront vos moyens d’action ?
Je pense qu’une délégation, aussi petite soit-elle, peut agir. Je sais d’expérience que si l’ensemble des acteurs est aligné sur un objectif clair, les choses avancent sans que l’on ait besoin d’être des centaines, mais juste quelques-uns déterminés et placés aux bons endroits. La sensibilisation à l’accessibilité est un enjeu majeur pour moi, avec l’objectif que chacun d’entre nous, chaque fois qu’il est conduit à prendre une décision, du développeur d’une application à la personne qui aménage les plateaux de bureaux, se pose la question de savoir si ce qu’il fait permet à tous d’être autonomes. Au cœur de notre action, il y a l’utilisateur, l’usager.

La concertation est ancrée dans l’élaboration de la politique publique du handicap.

Comment votre équipe est-elle composée ?
Au départ, j’ai démarré seule. Depuis quelques mois, une stagiaire en communication m’a rejointe, car je pense qu’il est primordial de faire connaître la délégation et surtout de sensibiliser à l’accessibilité. Nous bénéficions de l’appui de la direction de la communication des ministères sociaux. À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l‘accessibilité [le 18 mai dernier, ndlr], nous venons de mettre à la disposition des sous-préfets référents au handicap et à l’inclusion un kit de sensibilisation, qui regroupe des outils conçus par les spécialistes de l’accessibilité numérique – la direction interministérielle du numérique (Dinum) – et du bâti – la délégation ministérielle à l’accessibilité du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, des associations, etc. Pour l’instant, nous sommes 3 et la construction de l’équipe va aussi dépendre des projets que je vais prendre en main. J’ai aussi à ma disposition des ressources ministérielles et interministérielles, je suis en lien avec la Dinum et la direction interministérielle de la transformation publique. Je prends le train en marche et les sujets comme ils arrivent. Je fais ce que je sais faire, je prends le sujet, je précise les résultats à obtenir, je le traite et je mets en place ce qu’il faut pour faire mieux la prochaine fois, c’est un peu ma marque de fabrique. Mon action est axée sur l’efficacité et la performance. Nous travaillons avec de l’argent public, il faut que ce soit réellement efficace, d’autant que l’on travaille sur de l’humain. L’impact sur le terrain est essentiel.

Serez-vous également amenée à travailler avec le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) ?
Absolument. J’ai rencontré la nouvelle directrice du FIPHFP [Marine Neuville, entrée en fonctions le 1er février dernier, ndlr]. Ce fonds peut accompagner les employeurs publics dans la mise en accessibilité des systèmes d’information sur lesquels les fonctionnaires travaillent, permettant ainsi à des personnes handicapées de nous rejoindre. Je bénéficie aussi de l’appui du réseau de hauts fonctionnaires au handicap et à l’inclusion, placés auprès des ministres. La ministre a présidé une réunion de ce réseau il y a quelques jours afin de préparer la mise en œuvre des décisions prises par la Conférence nationale du handicap présidée par le président de la République le 26 avril dernier.

Propos recueillis par Marie Malaterre

* Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, et Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées.

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