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Jean-Louis Sanchez : “Le service public démultiplierait ses forces en s’appuyant sur des réseaux de bénévoles”

Dans son dernier ouvrage, Maires, le dernier rempart (L’Harmattan), l’essayiste auteur de Pour une République des maires et fondateur de l’Odas plaide pour une réelle décentralisation et appelle à doter la fonction de maire d’un véritable statut juridique. Dans l’extrait ci-dessous, Jean-Louis Sanchez préconise une plus large ouverture de l’administration locale.

Dans notre pays, pourtant respecté pour son attachement aux valeurs humanistes, le mot “éthique” est peu usité. En effet, ceux qui n’accordent plus aux principes qu’une valeur dérisoire, lui préfèrent celui de “déontologie”. Car ce terme évoque les modes d’action, alors que l’éthique concerne les finalités. Toutefois, dans la période troublée que nous traversons, la prise de conscience de la vulnérabilité semble engendrer une nouvelle quête de valeurs en ce qui concerne les orientations du service public et la qualité des relations avec les usagers. Car comment concevoir une citoyenneté plus active, une solidarité plus responsable, si l’exemple ne vient pas des acteurs du service public ? C’est d’autant plus opportun que c’est possible. Car, on l’oublie trop souvent : si la fonction publique bénéficie d’un traitement particulier au sein de la société, avec la garantie de l’emploi notamment, c’est parce qu’elle a des obligations particulières. En prise avec des objectifs d’intérêt général, elle doit être soucieuse d’un rapport aux particuliers empreint d’un esprit d’engagement. C’est ce qui en fait la force et l’attractivité.

Or, dorénavant, avec la complexité des réglementations et la rigidité des organisations qui empirent, l’application d’un “savoir-faire formaté” semble l’emporter sur la question du sens et de la relation à l’usager. On respecte bien sa feuille de route, mais on se sent moins responsable de l’aboutissement de son action, de la qualité du parcours de l’usager. On a pu vérifier par exemple dans le secteur social, grâce aux enquêtes menées sur des affaires sensibles d’enfants maltraités, que le cloisonnement entre professionnels avait eu des conséquences dramatiques.

L’établissement d’un nouveau type de dialogue et de relations entre administration et administrés passe nécessairement par la réactivation au sein de l’administration de l’éthique de mission.

De même, dans l’Éducation nationale, si la plupart des enseignants s’emploient avec dévouement à transmettre le savoir, ils sont rarement encouragés à entretenir des relations plus approfondies avec les familles. Et, depuis l’épisode du covid-19, on a pu observer pour l’ensemble de l’administration, tout à la fois l’extrême dévouement de certains personnels, mais aussi une propension à briser tout lien direct avec le public. C’est pourquoi l’établissement d’un nouveau type de dialogue et de relations entre administration et administrés passe nécessairement par la réactivation au sein de l’administration de l’éthique de mission, qui engage le fonctionnaire, pas seulement dans le respect des règles de sa profession, mais aussi dans la responsabilité du résultat.

Ce que l’on doit donc rechercher, c’est une inversion des priorités entre technicité et finalité. Car le fonctionnaire ne fournit pas seulement un service, il doit constamment intégrer dans son action la dimension de l’intérêt général. C’est pourquoi, pour affirmer cette exigence, la fonction publique pourrait se doter, dans chaque administration, d’une “charte éthique” qui engagerait les fonctionnaires à établir un rapport étroit et permanent avec les usagers et les habitants. Il conviendrait même d’en faire l’axe central du management des ressources humaines. Et pour éviter que certains puissent n’y voir qu’une charte de plus, celle-ci devra se distinguer par la précision de ses engagements et la vigilance des responsables.

Cette vigilance est particulièrement nécessaire pour l’administration locale. Car sa légitimité puise ses sources dans la raison d’être de la décentralisation : agir au plus près des citoyens et avec eux. De plus les missions des responsables des administrations de l’État, principalement axées sur le régalien, et de ceux des collectivités, principalement axées sur le développement, sont de nature différente. Or, ces dernières années, portée par un souci de recentralisation, une volonté d’homogénéisation des diverses fonctions publiques a été engagée, avec tout récemment la création de l’Institut national de la fonction publique (INSP).

Le recours au recrutement direct de cadres associatifs ou issus de l’entreprise aurait le mérite de faciliter (…) l’enracinement de la fonction publique locale dans une conception plus ouverte et plus pragmatique de leur rôle.

Cela aboutit à l’uniformisation des modes de sélection et de formation des cadres dirigeants des collectivités publiques et à l’émergence d’une culture identique. Ce qui peut pousser les cadres de la fonction publique territoriale à privilégier les aspects réglementaires de leur mission au détriment de leur responsabilité stratégique et politique en matière de développement et d’innovation. C’est pourquoi la contribution des exécutifs locaux à la performance du contrat social et au pacte républicain ne pourra se poursuivre sans l’affirmation d’une vraie spécificité de la fonction publique territoriale, remettant en cause les procédures unifiées de recrutement et de formations des cadres.

Ce retour aux sources pourrait être accompagné d’une plus grande diversification des modes de recrutement des cadres des collectivités locales, en évitant de passer systématiquement par des concours administratifs, précisément bien trop administratifs, grâce à la contractualisation. Sur ce point, le recours au recrutement direct de cadres associatifs ou issus de l’entreprise aurait le mérite de faciliter non seulement les dynamiques partenariales, mais aussi l’enracinement de la fonction publique locale dans une conception plus ouverte et plus pragmatique de leur rôle.

Ceci permettrait enfin de mieux traiter la question délicate de la relation entre professionnels et bénévoles dans l’action publique. On l’a dit à propos de l’aide aux personnes en difficulté, le service public démultiplierait ses forces en s’appuyant sur des réseaux de bénévoles. Non seulement ceux-ci disposent d’un temps précieux pour l’écoute, mais leur implication favorise la dédramatisation des situations. L’instant est donc propice pour affirmer formellement la nécessité de dépasser l’antinomie entre bénévoles et professionnels, pour construire entre eux une véritable complémentarité de missions et de valeurs.

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Club des acteurs publics

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