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Luc Rouban : “La déception dans la fonction publique ne trouve plus guère d’exutoire que dans la protestation politique”

Dans cet entretien, le politologue Luc Rouban revient pour Acteurs publics sur la nouvelle baisse de participation observée dans la fonction publique à l’occasion des élections professionnelles. L’avenir du dialogue social est en danger, souligne ce directeur de recherches au CNRS et chercheur au Cevipof de Sciences Po.

La participation aux élections professionnelles qui viennent d’avoir lieu est en baisse de près de 6 points dans la fonction publique d’État (FPE) et passe ainsi sous la barre des 50 %. Quel regard portez-vous sur cette décrue de la mobilisation, qui semble se confirmer scrutin après scrutin ?
Il est vrai que l’on est passé, dans la FPE, de 52 % de participation en 2014 à 51 % en 2018 – ce qui pouvait passer pour une stabilisation –, puis à 45 % en 2022, ce qui indique bien un désintérêt croissant pour les élections professionnelles. Il faut évidemment prendre garde au fait que cette moyenne recouvre des différences sectorielles importantes selon l’implantation syndicale et l’importance que prennent les syndicats, soit comme recours professionnel, soit comme expression d’une contestation politique. Dans le premier cas, on voit qu’à l’Intérieur, la participation atteint 76 %, dans le second qu’elle atteint 67 % à l’Économie et aux Finances. À l’Éducation nationale en revanche, qui réunit près de la moitié de la FPE, cette participation est très basse (40 %) mais elle l’était déjà en 2018 (43 %). Donc la baisse de participation est générale, mais le rapport aux syndicats reste très contrasté d’un secteur à l’autre : fort dans le régalien – le secteur de la défense est particulier mais on note une participation de 62 % –, faible au cœur de l’État-providence. 

L’avenir du dialogue social est-il selon vous en danger dans la fonction publique ? 
Oui, de toute évidence. La loi du 6 août 2019 avait eu pour ambition de relancer le dialogue social dans le cadre d’une “transformation” qui devait rapprocher encore un peu plus la gestion des fonctionnaires de celle des salariés du secteur privé en simplifiant l’architecture de ce dialogue et en renforçant la ligne hiérarchique. D’ailleurs son “Titre premier” était intitulé “Promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace dans le respect des garanties des agents publics”. L’efficacité, doctrine macronienne s’il en est, n’est pas au rendez-vous puisque si, en moyenne, moins d’un agent public sur deux se déplace, c’est que les instances du dialogue social ne semblent plus constituer des interlocuteurs utiles ou fiables.

Les fonctionnaires ont, encore, plus confiance dans les syndicats que dans les partis politiques.

On met souvent en avant la crise de la représentativité politique, mais existe-t-il aussi une crise de la représentativité sociale ? Les syndicats sont-ils toujours aussi légitimes pour représenter les personnels dans la fonction publique ? 
On peut tout d’abord souligner que la syndicalisation reste en moyenne plus élevée dans les fonctions publiques (23 % dans la FPE, 14 % dans la fonction publique territoriale, 16 % dans la fonction publique hospitalière en 2019) que chez l’ensemble des salariés français (10 %). Les fonctionnaires ont, encore, plus confiance dans les syndicats (41 % ont confiance sans grands écarts entre les catégories A, B et C, selon le “Baromètre de la confiance politique” du Cevipof en 2022) que dans les partis politiques (17 %). C’est vrai que la représentativité des syndicats baisse avec le niveau de la participation mais il en va de même des élus politiques. L’affaiblissement des syndicats de la fonction publique n’est pas une chose récente, mais ils restent des acteurs essentiels pour encadrer et limiter les conflits sociaux. Tout ne leur est pas imputable même si leur bureaucratisation est souvent dénoncée. La culture politique au sens large des agents a également évolué. Ils se méfient de toutes les instances de représentation et jouent plus souvent la carte de la protestation spontanée style “gilets jaunes” ou de l’abstention. Les carrières se sont parfois très individualisées, comme dans la recherche, où le taux de participation est passé de 30 à 19 %, la syndicalisation étant inversement proportionnelle à la précarité des personnels.

Certains syndicats mettent en avant le recours au vote électronique pour expliquer la baisse de la participation ? Mais est-ce le seul élément explicatif, selon vous ? La réduction du rôle des commissions administratives paritaires (CAP) n’est-elle pas aussi en cause ? 
Il est vrai que la numérisation a encore échoué dans bien des cas, ce qui a pu dissuader les agents de voter. Mais les instances représentatives n’ont pratiquement plus, aujourd’hui, qu’un rôle consultatif. Il n’est pas étonnant qu’il leur arrive ce qui arrive aux “conventions citoyennes” dont les préconisations sont oubliées très rapidement. À l’exception des situations de précontentieux (avis sur des décisions individuelles négatives), les CAP n’ont guère d’influence et les CSA [comités sociaux d’administration, ndlr] sont là pour trouver des solutions collectives satisfaisantes mais sans pouvoir vraiment négocier avec la hiérarchie. La déception à l’égard des avancements et des carrières ne trouve plus guère d’exutoire que politique. Rappelons que la seconde variable qui explique le vote RN, après le faible niveau de libéralisme culturel, reste la non-reconnaissance du travail et l’absence de méritocratie réelle.

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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