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Matthias Savignac : “Apporter demain une protection globale et complète aux agents”

Le président de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) analyse l’impact de la réforme de la protection sociale complémentaire, avec l’instauration de logiques obligatoires et collectives, sur l’accompagnement des agents publics et plus largement sur l’avenir des mutuelles. Il faut remettre du sens, souligne Matthias Savignac, se rapprocher de la perception qu’ont les agents de leurs missions et de leurs trajectoires. Il invite à une réflexion globale sur la relation au travail.

Quels sont les impacts de la réforme de la protection sociale complémentaire sur votre groupe ? Cette réforme est-elle une chance, une opportunité en matière d’accompagnement des agents publics ? 
Cela faisait longtemps que les agents des différentes fonctions publiques n’avaient pas bénéficié de mesures en faveur d’une meilleure protection sociale. Quand, dans le secteur privé, l’accord national interprofessionnel (ANI) s’est mis en place, généralisant les contrats collectifs obligatoires pour les entreprises et leurs salariés, les fonctionnaires et les mutualistes déploraient le fait que l’État déployait ainsi des dispositifs dont ne bénéficiaient pas les agents publics. Donc structurellement, cette réforme amène une responsabilisation de l’État employeur quant à la protection sociale des agents. Un socle interministériel en santé s’appliquera dans les trois versants, avec des marges de négociation pour chaque ministère et organisation publique. 
Il reste encore à travailler l’autre volet de la protection sociale des fonctionnaires : la prévoyance. Il y a quelques années, des rapports d’inspection générale soulignaient le fait que la couverture prévoyance était bien inférieure dans le public à ce qu’elle était dans le privé. Les négociations ont débuté et elles doivent aller à leur terme. 
Enfin, le changement est structurel du côté des acteurs mutualistes et des mutuelles de fonctionnaires, avec le passage d’une logique de couvertures individuelles volontaires à des logiques obligatoires et collectives. C’est pour nous un changement de paradigme. Alors que cet enjeu relevait des assemblées générales souveraines des mutuelles, cette négociation est déportée au niveau de la relation entre organisations syndicales et État employeur. Les agents ne choisiront plus par eux-mêmes et pour eux-mêmes le niveau de couverture et le niveau de cotisation.
MGEN a développé depuis soixante-seize ans une relation partenariale avec le ministère de l’Éducation nationale qui a permis de mettre en œuvre des solutions en prévention, en action sociale, en écoute et en accompagnement sur les problématiques liées à l’exercice professionnel des agents. Nous ne voulons pas que cette relation partenariale soit remplacée par une relation de prestataire, il faut poursuivre la coconstruction avec l’État d’accompagnements utiles pour les agents. Dernier point : nous avons aujourd’hui 4,2 millions d’adhérents. Demain, nous aurons un seul gros client, qui sera l’État. Se pose la question de la diversification de nos activités. 

Apporter une protection globale et complète demain, dans le cadre de la réforme de la protection sociale complémentaire.

Dites-vous aux décideurs publics : “ne faisons pas table rase du passé, capitalisons sur des dispositifs qui ont prouvé leur efficacité” ?
Depuis soixante-seize ans, les mutuelles de fonctionnaires ont développé, au contact des populations qu’elles protègent, des dispositifs adaptés à leurs besoins. Elles apportent aujourd’hui des réponses globales prenant en compte les problématiques de qualité de vie et conditions de travail, d’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, de santé, de prévention… Cette approche holistique accompagne l’État employeur, les collectivités, les hôpitaux. Cette méthode est particulièrement pertinente en matière de prévoyance alors que les agents sont moins couverts que les salariés du privé. Un travail de fond doit être mené pour continuer à apporter une protection globale et complète demain, dans le cadre de la réforme de la protection sociale complémentaire. Actuellement, nous assistons à un découplage entre le volet santé et le volet prévoyance, au risque pour chaque agent de se retrouver face à son risque seul alors qu’aujourd’hui, ce risque est mutualisé grâce à des couvertures complètes. 

L’avenir des mutuelles “historiques” est-il en jeu ? 
Les mutuelles de fonctionnaires ont aujourd’hui plusieurs défis à relever. Le premier d’entre eux est d’être toujours là demain, en s’organisant face au changement de paradigme qu’est le contrat collectif obligatoire. Il nécessite des transformations au niveau des systèmes gestionnaires. Sur ce point, on change de monde : nos conseillères et conseillers qui proposent des offres de santé n’auront demain plus cette activité à mener puisque mécaniquement, en remportant un contrat collectif, on couvrira l’ensemble des agents publics qui dépendront de ce contrat et qui deviendront adhérents. Le travail de transformation interne est majeur. Une grande mutuelle peut avoir aujourd’hui quelques dizaines de milliers de contrats ; si elles en perdent 150 ou 200, l’impact est limité. Si demain une mutuelle perd un contrat collectif couvrant tout un ministère, alors l’impact serait considérable.
Ma conviction est que les mutuelles ont tout intérêt à coopérer. Je prends l’exemple de ministères où, si le ou les grands acteurs de référence présents historiquement s’entendent, alors ils prennent un temps d’avance sur les organisations qui souhaiteraient nouvellement se positionner sur ces ministères ; si elles ne s’entendent pas, de nouvelles coopérations pourraient être envisagées. Dans tous les cas, les mutuelles sont légitimes puisqu’elles ont créé de la valeur et de la proximité avec leurs adhérents ; elles font partie de l’histoire sociale de notre pays, nées au côté de la Sécurité sociale par les fonctionnaires et pour les fonctionnaires. Elles doivent coopérer et par ailleurs se diversifier. 

Les préoccupations que rencontrent les agents publics sont diverses et leur quotidien souvent difficile.

La MGEN est historiquement connue comme “la mutuelle des enseignants” mais se positionne aujourd’hui comme la première mutuelle des agents du service public. Qu’induit ce repositionnement ? 
L’Éducation nationale n’est pas le seul ministère “historique” de MGEN. Ce sont aussi les portefeuilles de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Jeunesse, du Sport, de la Culture, de la Transition écologique et des Affaires sociales. Par notre taille et par notre positionnement, par le biais des référencements déjà existants, nous sommes effectivement la première mutuelle des agents de la fonction publique. Va-t-on pour autant candidater pour les appels d’offres sur des champs hors de nos missions historiques ? Je l’ai dit : les coopérations sont importantes pour se consolider et se diversifier. En s’entendant entre elles sur certains portefeuilles, des mutuelles peuvent “plier le match” lors des appels d’offres tant leurs capacités à répondre avec pertinence est forte. MGEN est ainsi prête à discuter et coopérer parce que nous avons une responsabilité entre mutuelles de fonctionnaires, celle de ne pas fragiliser les constructions mutualistes et solidaires nées dans les années d’après-guerre. Cela signifie quelque chose, une telle antériorité ! Ma principale préoccupation est de faire en sorte que ces constructions solidaires soient pérennisées dans le temps. Je suis avant tout un fonctionnaire d’État, un enseignant qui s’est engagé dans la mutualité en tant qu’élu bénévole parce que je croyais sincèrement – et je le crois plus encore aujourd’hui – au projet mutualiste. J’ai un fort attachement au service public et à l’engagement des fonctionnaires qui représentent notre terreau commun. 

La fonction publique s’inscrit aujourd’hui dans un contexte d’instabilité, de crises multiples qui se superposent et de problématiques nouvelles telles, par exemple, l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. Est-il possible de combiner approche collective et approche individuelle des accompagnements ? 
Il le faut ! Tant les préoccupations que rencontrent les agents publics sont diverses et leur quotidien souvent difficile. Nous avons la capacité à avoir une forme de “gestion du risque” et de gestion des parcours de protection sociale individualisée parce que nous connaissons notre population. Malgré les évolutions du statut, avec de plus en plus de contractuels et de moins en moins de fonctionnaires, les conditions d’exercice restent assez homogènes, ce qui nous permet de nous adresser à nos adhérents avec des réponses adaptées. Prenez l’exemple du coaching vocal que nous développons, présenté dans l’un de nos nouveaux clips TV – avec la professeure d’anglais, Diane – qui permet de préserver sa voix. Voilà une action, parmi de nombreuses autres, qui offre un accompagnement à des agents, peu importe qu’ils soient contractuels ou fonctionnaires. Ce sont des dispositifs qui répondent à des attentes du terrain, du quotidien des personnels. Les employeurs publics travaillent sur les enjeux de rémunérations, de conditions de travail et d’attractivité. En prolongement et en complémentarité, nos accompagnements sont riches et multiples. Ils s’inscrivent dans une réflexion globale sur la relation au travail. Aujourd’hui, des infirmières et infirmiers qui ont fait front face au Covid veulent faire autre chose ; on voit des fonctionnaires devenir contractuels pour s’inscrire dans une autre voie et privilégier la qualité à la quantité ainsi qu’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ; on observe des agents qui privilégient la qualité de vie plutôt que la sécurité du travail. Cette transformation du rapport au travail, il faut l’accompagner. 

Il faut “remettre du sens” et se rapprocher de la perception nouvelle que les personnels publics ont de leurs missions et de leur trajectoire professionnelle.

Constatez-vous des parcours davantage heurtés ? Des ruptures professionnelles plus fréquentes ? 
Je le constate notamment dans la population mutualiste de l’enseignement. Ils et elles sont de plus en plus nombreux à avoir une vie professionnelle avant l’Éducation nationale et sans doute beaucoup auront une vie professionnelle après l’Éducation nationale. Ils sont davantage “de passage”, avec un engagement fort. Comment les employeurs accompagnent-ils cette évolution ? Les mutuelles sont capables d’apporter des dispositifs intuitifs, nouveaux et adaptés. 

La crise sanitaire n’a-t-elle pas rendu la quête de sens des fonctionnaires et agents plus que jamais centrale ? 
Je pense que la crise sanitaire n’a rien “créé” en matière de sens, de quête d’engagement, de volonté d’avoir des perspectives et un impact sur la société. Elle a plutôt amplifié des mécanismes qui était déjà présents. La santé et l’éducation sont de nouveau perçues comme des ciments qui font société ; il faut les appréhender de manière structurelle et non via un prisme budgétaire. Il faut “remettre du sens” et se rapprocher de la perception nouvelle que les personnels publics ont de leurs missions et de leur trajectoire professionnelle. Les passages s’intensifient – du moins les volontés de passage – entre les ministères et les versants, mais aussi vers l’extérieur. Il faut concilier, ou réconcilier, les inspirations personnelles et les aspirations professionnelles. La responsabilité sociétale et environnementale devient une réponse essentielle, la prise en compte des externalités est décisive, surtout après l’été dernier qui a entraîné une prise de conscience de la réalité climatique et environnementale. Au-delà, les problématiques touchant à la question de la fin de vie, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la conquête de nouveaux droits sociaux s’imposent, et c’est tant mieux… C’est une manière d’agir “avec sens”. Je suis ainsi heureux de constater que le sujet de la constitutionnalisation de l’IVG avance. MGEN et les mutuelles de fonctionnaires dépassent la question des soins, des prestations santé ou de la prévention pour embrasser des actions en faveur d’une société plus inclusive, plus juste, plus humaine. Fédérer autour de grands enjeux sociétaux est une manière de recréer du commun là ou parfois les institutions de la République ne suffisent plus à en créer. Nous y contribuons aujourd’hui et nous y contribuerons plus encore demain. 

Propos recueillis par Sylvain Henry

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Club des acteurs publics

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