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Pascal Berteaud : “La planification écologique est essentielle, elle permet de répartir le fardeau”

Si le niveau de connaissance des décideurs publics autour des phénomènes liés à la transition écologique est aujourd’hui élevé, les politiques publiques sur ces sujets souffrent du manque français de culture de l’évaluation. Travailler en collectif avec l’ensemble des parties prenantes, y compris les citoyens, autour d’outils davantage opérationnels pourrait permettre de lever certains freins, selon Pascal Berteaud, directeur général du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

Quels sont, selon vous, les grands enjeux en matière de planification et d’évaluation de la transition écologique ? 
Nous avons une difficulté en France : il n’existe pas de culture de l’évaluation forte comme dans les pays anglo-saxons. Et en matière de planification, il y a encore cinquante ans, on ne jurait que par cela avec cette « ardente obligation » comme le disait le général de Gaulle. Cette notion s’est un peu perdue au tournant des années 2000. Or, sur ces enjeux de transformation en matière de transition écologique, si on ne planifie pas, on ne sait pas où on va. Cela ajouté à une autre priorité, celle de décliner cette planification écologique au niveau des territoires. L’enjeu, aujourd’hui, est de savoir comment nous allons continuer à nous développer dans ce contexte d’épuisement des ressources, avec certains experts qui vous expliquent que l’on va tous mourir ou a contrario d’autres experts qui expliquent quant à eux que la technologie va tout régler. 

Dans ce contexte, justement, comment voyez-vous les choses au Cerema ?
Je dirais que nous avons le changement climatique optimiste. Car il existe des solutions, notamment en matière d’adaptation comportementale et en matière technique. Rien qu’en changeant les comportements des occupants de bâtiments, il est possible de faire des économies d’énergie et cela ne coûte pas grand-chose. Notre objectif est donc de faire la synthèse. Mais le sujet reste énorme, même s’il est sur la table depuis plusieurs dizaines d’années. L’été 2022 a été là pour nous rappeler que le changement climatique était à l’œuvre mais rappelons-nous qu’en 2003 et 2005, la situation était tout aussi alarmante. 

Autour de cette matière, les questions de planification sont vraiment essentielles. C’est ce qui permet de répartir le fardeau et de lier ce qu’il faut faire à l’échelle de la planète et au niveau de nos comportements individuels. Sur l’évaluation, s’il faut multiplier les expérimentations, il ne faut pas oublier de les évaluer. On innove dans tous les sens, mais il faut impérativement faire le tri entre ce qui a marché et ce qui a moins bien marché. 

La planification et l’évaluation en matière de transition écologique ne peuvent pas être un sport individuel.

Selon vous, la puissance publique est-elle suffisamment armée pour remplir toutes ces tâches ? 
En matière de méthodologie, aujourd’hui, on peut dire que la puissance publique est armée, notamment à travers la création du secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Mais la clé de la réussite restera dans notre capacité à travailler collectivement. La planification et l’évaluation en matière de transition écologique ne peuvent pas être un sport individuel. Il faut non seulement travailler ensemble mais aussi embarquer toutes les parties prenantes, y compris les citoyens. Les toucher est un enjeu décisif. 

D’ailleurs, sur toutes ces questions de participation du public, on voit quand même que de nombreuses choses ont été testées mais qu’il reste difficile de toucher autre chose qu’un public averti. Or, pour changer nos comportements en profondeur, il va falloir aller au contact de Monsieur et Madame Tout-le-monde. On ne résoudra pas tout par la technologie et les changements de comportements ne se décrètent pas. 

Si l’on revient sur les outils, comment l’État et les collectivités collaborent-ils avec la recherche et l’évolution des connaissances scientifiques en matière de transition écologique ?
La connaissance scientifique évolue parce que les phénomènes évoluent et il faut reconnaître que notre niveau de connaissance s’améliore. La difficulté est de devoir prendre des décisions et mettre en place des politiques sur la base d’un futur incertain. Globalement, nous sommes aujourd’hui sur des planifications de plans d’action qui sont remis à jour tous les trois ou quatre ans en fonction de ce que l’on connaît et de ce que l’on a pu observer. Le degré d’incertitude est à prendre en compte et c’est assez difficile à gérer pour un décideur public. Même si l’on peut nous opposer que les chefs d’entreprise font cet exercice en permanence, cela n’a pas un impact direct sur des milliers de personnes dans la population. 

On innove dans tous les sens, mais il faut impérativement faire le tri entre ce qui a marché et ce qui a moins bien marché.

Diriez-vous que les décideurs sont suffisamment sensibilisés et informés sur les connaissances scientifiques notamment ? 
Sur les questions de réduction d’empreinte carbone, on peut dire que les décideurs sont informés et bien au fait des différents phénomènes, de même que sur les difficultés liées au changement climatique. Mais au-delà de la sensibilisation, il faut probablement accélérer en matière de formation. Je pense que nous sommes un certain nombre à nous préoccuper de ce sujet, mais il faut pouvoir proposer aux décideurs des formations plus poussées et plus opérationnelles pour les aider à la décision. Et si certain nombre de choses existent déjà, il faut passer à l’échelle avec des actions de sensibilisation et de formation plus larges. Les décideurs publics ont absolument tous conscience aujourd’hui qu’il y a urgence à agir, maintenant, il faut rentrer davantage dans l’opérationnel. 

Concrètement, comment la coopération avec la recherche est-elle organisée ? 
Au sein du Cerema, nous avons développé une activité de recherche. Nous remplissons le rôle de passeur de savoir et nous constatons que c’est de cette manière qu’il est possible de faire avancer les choses. Il y a énormément de littérature produite sur le sujet, l’enjeu reste de prendre les résultats de ces recherches et de fabriquer une méthode que tout le monde puisse appliquer. C’est un aspect qu’il faut impérativement développer. 

Comment faire pour accélérer et proposer aux décideurs publics des outils davantage pensés pour aider à la prise de décision ?
Il existe un certain nombre de dispositifs, comme le « budget vert » que l’on a commencé à mettre en place il y a quelques années, mais qui reste pour l’heure sous-utilisé. Il faut bien comprendre que l’évaluation des politiques publiques sur l’écologie doit être amplifiée et généralisée en rentrant, comme je le disais plus haut, dans l’opérationnel. L’enjeu, aujourd’hui, est de pouvoir évaluer le gain en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES), sur les activités de covoiturage d’une collectivité par exemple, ou encore les économies d’énergie réalisées à la suite de la rénovation d’un bâtiment. C’est là-dessus que doit se porter l’attention des décideurs publics. 

Propos recueillis par Marie Malaterre

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