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Samuel Barreault : “La politique d’ouverture de la DGFIP ne doit pas nuire à la promotion interne des cadres sup’”

Président de l’Association des administrateurs des finances publiques (Adafip), Samuel Barreault revient pour Acteurs publics sur les conséquences, pour les cadres supérieurs de la direction générale des finances publiques, de la réforme de la haute fonction publique mais aussi de celle de la responsabilité financière des gestionnaires publics. L’occasion pour ce haut fonctionnaire, aujourd’hui directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Gironde, d’exprimer plusieurs inquiétudes.

Deux réformes sont en cours concernent les cadres de la direction générale des finances publiques : l’une sur la haute fonction publique dans son ensemble et l’autre sur la responsabilité financière des gestionnaires publics. Établissez-vous un lien entre les deux ?
De mon point de vue, c’est une coïncidence de calendrier qui fait aboutir ces réformes en même temps. Il n’y a pas de lien chronologique. La réforme de la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) était déjà annoncée dans le rapport de 2018 du comité Action publique 2022. Il y était écrit noir sur blanc l’idée de supprimer la RPP et d’engager une réforme d’ensemble. L’annonce de la réforme de la haute fonction publique, quant à elle, est en partie liée à la crise des “gilets jaunes” de 2019. 

Un décret du 25 avril tire les conséquences de la création du nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État et de la mise en extinction du corps des administrateurs des finances publiques (Afip). Un statut d’emploi va ainsi être créé pour les emplois de directeurs des finances publiques. Quel regard l’Adafip porte-t-elle sur la réforme de la haute fonction publique et notamment sur ses implications pour la DGFIP ?
Devant toute réforme, deux questions, généralement, se posent : l’ancienne organisation a-t-elle échoué dans une mission assignée ? Quel sera l’apport de la réforme ? On veut croire qu’il sera positif pour l’État, l’administration et pour les cadres supérieurs de la DGFIP, car on ne réforme que pour faire mieux. La création du corps des Afip est récente et résulte de la fusion réussie – et elle n’allait pas de soi en 2008… – des deux anciennes directions générales qu’étaient la celle des impôts et celle de la comptabilité publique, dont l’histoire est ancienne. À la première question, les Afip ont le sentiment d’avoir pleinement réussi ce qui était attendu d’eux, grâce à leur professionnalisme, leur sens des responsabilités, leur loyauté et leur capacité à mener à bien des réformes avec leurs équipes. Les dernières réformes menées, qu’il s’agisse du prélèvement à la source, de la réforme de la taxe d’habitation, du droit à l’erreur pour les contribuables (loi Essoc) ou d’autres, plus techniques, comme la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, et celle à venir des locaux d’habitation, ou la mise en place du nouveau réseau de proximité, ont montré la totale mobilisation des Agfip et des Afip, ainsi qu’une capacité à réformer et à mobiliser les équipes pour atteindre les objectifs fixés. Ces réformes ont été conduites en assurant les missions confiées par la nation et tout en restituant 40 000 emplois depuis vingt ans, ce qui fait de la DGFIP l’administration civile qui a certainement rendu le plus d’emplois ces dernières années. 

Qu’apporte la réforme pour les Agfip et les Afip ? 
Notre position est, pour l’instant, nuancée, notamment au regard des questions qui se posent encore et parce que tous les paramètres ne sont pas connus à ce jour. Pour mémoire, en 2008, le choix du statut de corps l’avait emporté sur le statut d’emploi en raison des responsabilités particulières dans l’ordre public financier que confère la qualité de comptable public – comme le refus de payer des dépenses irrégulières par exemple – mais aussi de l’importance de garantir l’indépendance dans les missions exercées, notamment le contrôle fiscal. Certes, la création d’un statut d’emploi pour les cadres dirigeants de la DGFIP est a priori un élément positif. Il implique la reconnaissance d’une appartenance pleine et entière de l’ensemble des cadres supérieurs de la DGFIP à l’encadrement supérieur de l’État. Toutefois, il ne concerne que 350 emplois : les numéros un et numéros deux des directions, les contrôleurs budgétaires et comptables ministériels (CBCM), les responsables de la politique immobilière de l’État (RRPIE), soit un peu plus de la moitié des membres du corps actuel. 

L’ouverture est déjà présente dans la culture de notre administration.

Quelles sont précisément vos inquiétudes s’agissant de cette réforme de la haute fonction publique ? Pensez-vous que la fonctionnalisation des emplois entraînera davantage de recrutements d’agents détachés au sein du réseau des finances publiques ?
Dans quelles conditions se dérouleront les carrières de ceux qui ne seront pas sous statut d’emploi ? Quelles seront les perspectives des Agfip/Afip qui n’exerceront pas leur droit d’option pour intégrer le nouveau corps des administrateurs de l’État ? Quels parcours de carrière seront-ils désormais offerts aux directeurs régionaux et départementaux, qui ne pourront exercer cette fonction que neuf ans en continu, alors qu’ils pourront être recrutés plus jeunes ? Par ailleurs, à ce jour, nous ne disposons d’aucune information sur les grilles indiciaires et indemnitaires à venir. Ensuite, la mobilité, et donc implicitement l’ouverture des corps à l’extérieur, est souvent avancée pour expliquer la réforme de la haute fonction publique. Si la mobilité est louable en soi – encore faudrait-il qu’elle soit favorisée par une prise en charge correcte des frais de déménagement, de la recherche d’un logement ou de l’accompagnement du conjoint pour retrouver un emploi –, le corps des Afip est déjà ouvert sur l’extérieur. Tous les emplois de direction vacants sont publiés au Journal officiel et les comités de sélection comptent des représentants d’autres administrations. Dernièrement, un préfet et un ambassadeur ont été nommés comme directeurs départementaux des finances publiques. L’ouverture est donc déjà présente dans la culture de notre administration. Demain, elle doit cependant être pratiquée pour permettre une gestion optimale des promotions internes et en tenant compte aussi de l’accueil des administrateurs des finances publiques dans les autres administrations. 

Y a-t-il nécessité à poursuivre cette politique d’ouverture de la DGFIP ? 
Il faut trouver un équilibre. Il faut de l’ouverture, mais il ne faut pas que cela nuise à la promotion interne. S’il n’y a plus, demain, de promotions pour nos cadres supérieurs faisant leur carrière à la DGFIP, alors un problème se posera. Les Agfip/Afip sont très attachés au système de promotion interne de la DGFIP. À titre d’exemple, sur 101 directions territoriales, 81 directrices et directeurs ont commencé leur carrière à la DGFIP comme cadres A, et pour certains d’entre eux B, voire C, les 20 autres étant anciens élèves de l’ENA. Qu’en sera-t-il demain ? Comment s’assurer que les cadres les plus méritants pourront se projeter dans un avenir professionnel dans lequel les compétences techniques des métiers de la DGFIP seront reconnues par des jurys de sélection interministériels ? Quelle sera la place de l’employeur DGFIP dans ces jurys ? Comment s’assurer qu’un nombre suffisant d’administrateurs de l’État seront affectés à la DGFIP pour répondre à ses besoins d’expertise en cette période de réformes profondes ? Il ne faut donc pas perdre de vue cette question des promotions. Il faut offrir des perspectives de carrières à nos cadres supérieurs. 

Les fonctions et métiers exercés au sein de la haute fonction publique peuvent-ils être, selon vous, interchangeables ? 
Il ne faut pas perdre de vue la dimension technique des métiers exercés à la DGFIP. On ne s’improvise pas expert en fiscalité ou du recouvrement, juriste du contentieux fiscal, spécialiste de la comptabilité, de la gestion publique ou de la sphère foncière. Combien savent que la DGFIP gère des patrimoines privés avec les successions vacantes ? Imagine-t-on la technicité que requiert la gestion des biens de l’État ou une évaluation domaniale ? Comment trouver les profils pour développer et maintenir les applications informatiques de la DGFIP ? Ces métiers correspondent à des processus longs d’apprentissage et jusque-là, ils offrent des perspectives de carrière interne aux cadres de la DGFIP. Comment motiver les cadres de demain à se présenter aux sélections des futures listes d’aptitude au corps des administrateurs de l’État (AE) ? Les cadres supérieurs de la DGFIP s’inscrivent dans la logique d’une fonction publique de carrière et la diversité des métiers exercés à la DGFIP, ainsi que le maillage territorial des implantations offrent déjà un choix très large pour dérouler une carrière en exerçant dans des univers professionnels variés, en métropole, en outre-mer et à l’étranger. 

La DGFIP est également au cœur d’une autre grande réforme, celle de la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP), remplacée par la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics. Cette réforme supprime notamment le “débet”, une procédure au terme de laquelle l’ordonnateur ou le comptable doit rembourser les “trous” dans la caisse. Comment cette réforme est-elle perçue à l’Adafip ? 
L’ordre public financier, indispensable dans le fonctionnement démocratique de l’État, repose entre autres sur la séparation des rôles entre l’ordonnateur et le comptable public et sur la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics. Ainsi, la RPP fait – ou plutôt faisait – partie de notre ADN. La RPP n’a pas empêché d’améliorer la gestion financière et comptable (certification des comptes de l’État, des hôpitaux, création de services facturiers ou plus récemment de centres de gestion financière, etc.). Pour autant, le constat d’un “système à bout de souffle”, tel que décrit dans le rapport de Jean Bassères et de Muriel Pacaud est partagé. En effet, 70 % des débets des comptables publics prononcés par la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes trouvent leur origine chez les ordonnateurs. Cette responsabilité n’est pas théorique : chaque année, on dénombre environ 900 débets pour les comptables publics de la DGFIP, souvent sur des questions de formalisme, à comparer avec la dizaine d’arrêts de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). 

Nous sommes soumis à des exigences déontologiques renforcées et assujettis à de fortes contraintes de mobilité géographique qui s’imposent à peu d’autres hauts fonctionnaires, en dehors du corps préfectoral.

Avez-vous des craintes particulières à propos de cette réforme ? 
Elle entre en vigueur le 1er janvier 2023, c’est-à-dire demain. Il est donc important que les ordonnateurs et comptables publics s’y préparent le plus rapidement possible. Le contrôle interne et la maîtrise des risques sont ancrés dans le fonctionnement quotidien des comptables publics, mais qu’en est-il des ordonnateurs ? Pour réussir une telle réforme, il convient donc de passer à une approche par les risques et les enjeux avec un véritable contrôle interne, tant en dépense qu’en recette. Cette réforme se met en place avec une inconnue, celle de la jurisprudence qui précisera les notions de faute grave et de préjudice financier significatif, que l’ordonnance laisse ouvertes aux interprétations du juge financier, avec possibilité de faire appel et sous le contrôle du juge de cassation. Aussi, il est essentiel pour les ordonnateurs, en lien avec leur comptable public, d’engager rapidement les travaux nécessaires pour sécuriser les process internes pour limiter le risque de faute grave avec des enjeux financiers significatifs. Le caractère non rémissible des futures amendes (jusqu’à six mois de la rémunération) doit conduire les ordonnateurs comme les comptables publics à revisiter ensemble les processus métiers afin de s’assurer que les contrôles ciblent les opérations portant sur de réels enjeux. Cette réforme ne pourra réussir que si le couple ordonnateur-comptable travaille ensemble et si la jurisprudence du juge financier cible les enjeux avec discernement.

La fonctionnalisation des emplois et la fin du débet vont-elles entraîner une révision de la politique de rémunération des cadres des finances publiques ?
Ce niveau de rémunération est à la hauteur de nos responsabilités. Les Agfip et les Afip sont les garants de l’ordre public financier de la nation. Nous sommes à la tête de services qui nous confèrent une responsabilité managériale particulière. La responsabilité financière du maniement des deniers publics n’est pas une responsabilité comme les autres. On entend souvent que les Agfip seraient, dans la fonction publique, les mieux payés. Je préciserais : parmi les mieux payés. Ce niveau de rémunération n’est toutefois plus celui dont bénéficiaient les trésoriers-payeurs généraux, alors même qu’avec la fusion des directions générales des impôts et de la comptabilité publique, le champ des responsabilités s’est accru. De plus, il ne concerne pas que les numéros un territoriaux de la DGFIP, mais également les numéros deux, qui ne sont pas comptables publics. Pour mémoire, une partie importante de la rémunération est composée de primes qui ne sont pas prises en compte pour la retraite. Il conviendrait également de comparer ce qui est comparable avec le public et le privé. 

Les rémunérations doivent-elles évoluer ?
Au-delà de ces différents niveaux de responsabilités, nous sommes soumis à des exigences déontologiques renforcées et assujettis à de fortes contraintes de mobilité géographique qui s’imposent à peu d’autres hauts fonctionnaires, en dehors du corps préfectoral, sans bénéficier d’avantages en nature (logement de fonction, etc.), ni accompagnement à la mobilité géographique qui est une des conditions de la progression de carrière. Enfin, si l’on veut garder les talents et en attirer de l’extérieur, il convient de proposer des rémunérations attractives et donc comparables à celles d’autres grands corps – c’est, me semble-t-il, le message adressé par le président de la République sur la refonte des rémunérations dans la fonction publique. Depuis 2019, les emplois de direction de la DGFIP font l’objet d’avis de vacance au Journal officiel avec une information sur le niveau de rémunération. Le processus est transparent et ouvert. Des cadres supérieurs d’autres corps peuvent se porter candidats. 

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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