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Sébastien Martin : “Bercy veut renier toujours un peu plus l’autonomie financière et fiscale des collectivités”

Le président d’Intercommunalités de France pointe une volonté de mise sous tutelle du ministère de l’Économie sur les collectivités territoriales et un manque de respect du rôle et de l’engagement des intercommunalités par certains membres du gouvernement. Sébastien Martin, candidat à sa réélection à la tête de l’association d’élus, appelle à la décentralisation des politiques climatiques (logement) et à une approche politique plutôt que technique des transitions.

Vous aviez exprimé votre mécontentement lors du lancement du Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), alors que les représentants d’Intercommunalités de France n’avaient pas été invités. Le HCFPL* se veut un cadre d’échanges entre État et collectivités sur la stratégie de maîtrise des finances publiques, auquel participent Régions de France, Départements de France et l’Association des maires de France…
C’est un signe supplémentaire du mépris de Bruno Le Maire [le ministre de l’Économie, ndlr] à notre endroit. J’ai entendu ce qui s’est dit lors de ce nouveau Haut Conseil et tant mieux si nous n’en avons pas été complices, car il y a de nouveau une volonté de mise sous tutelle des collectivités locales de la part de Bercy. Il y a suffisamment de réunions comme cela, autant participer à celles qui sont utiles.

Vous avez des mots très forts…
Nous avons toujours été désireux de travailler en confiance et de manière ouverte. Tous les membres du gouvernement ne sont manifestement pas dans cette volonté d’échanger avec nous. J’ai beaucoup de respect pour la Première ministre, avec qui il est possible de dialoguer sur le fond et de manière sincère. Mais dans ce gouvernement, il y en a qui ne sont pas respectueux du rôle et de l’engagement des intercommunalités.

La part des collectivités dans la dette publique est infinitésimale.

Sur le fond, tous les acteurs publics ne doivent-ils pas contribuer à la lutte contre les déficits publics ? Quel doit être, selon vous, le rôle de la sphère locale, et plus particulièrement des intercommunalités, en la matière dans le contexte actuel ? 
Mais nous y participons déjà ! Je rappelle que nous votons chaque année des budgets à l’équilibre, nous y sommes tenus, à la différence de l’État. Le remboursement de la dette n’est pas notre premier poste de dépenses ; la part des collectivités dans la dette publique est infinitésimale. On nous explique que parce que les collectivités sont globalement en bonne santé financière, il faut qu’elles participent davantage à la lutte contre les déficits. Qu’en serait-il si nous étions en mauvaise santé ? Tout cela relève d’une stratégie de l’État pour ponctionner dans nos recettes et nos ressources. C’est cousu de fil blanc : Bercy veut renier toujours un peu plus l’autonomie financière et fiscale des collectivités. 

L’an passé, la Première ministre, Élisabeth Borne, avait affirmé, lors de votre convention annuelle à Bordeaux, en octobre, que les intercommunalités étaient “les maîtres-d’œuvre de la transition écologique dans les territoires”. En avez-vous les moyens ?
Nous agissons quotidiennement, en effet, pour mettre en œuvre la transition écologique dans nos territoires, mais les moyens dont nous disposons sont insuffisants. Par exemple, nous avons chiffré que sur les enjeux relatifs à l’eau, il manque entre 1 et 2 milliards d’euros par an ; et plus largement, nous estimons que pour remplir les objectifs de transition écologique, il faut apporter quelque 12 milliards d’euros par an aux collectivités, soit des chiffres assez proches de ceux du gouvernement. Pour investir, il nous faudra bien sûr aussi nous appuyer sur les recettes liées à nos actions en faveur de la poursuite du développement économique et à la réindustrialisation du territoire : il faut essayer de créer de la croissance au lieu de vouloir créer de nouveaux impôts. Essayons de faire grossir le “gâteau” plutôt que de partager la misère ! Mais très honnêtement, nous aurons besoin de l’État : il faut pérenniser certains fonds, comme le Fonds vert ou le fonds relatif à la réhabilitation des friches. Il faut par ailleurs revoir la gestion des crédits à la rénovation énergétique en les confiant aux intercommunalités, qui sont désireuses d’en prendre la gestion et qui seront meilleures gestionnaires que l’État. Plus largement, nous ne pourrons pas mener la transition écologique sans avoir recours à des emprunts “verts”. Des solutions existent avec ce que met par exemple en place la Caisse des dépôts, notamment des prêts à 1 % fléchés sur des projets d’économies d’énergie. Éric Lombard [le directeur général de la Caisse des dépôts, ndlr] assume parfaitement le rôle de la Caisse en tant que financeur de la transition écologique à travers des emprunts bonifiés. Soit nous assumons de vivre une période de transition et on met le paquet, soit nous restons dans un jeu politique avec une logique budgétaire, comptable et “techno” et alors, la transition ne se fera pas. Les intercommunalités agissent et sont prêtes à aller plus loin, mais nous avons besoin pour cela d’un soutien pérenne. 

Soit nous assumons de vivre une période de transition et on met le paquet, soit nous restons dans un jeu politique avec une logique budgétaire, comptable et « techno » et alors, la transition ne se fera pas.

En matière d’endettement, ne faut-il pas revoir quelques a-priori, notamment le ratio de désendettement à quinze ans, qui ne correspond pas au financement d’infrastructures qui fonctionnent pendant cinquante, voire soixante ans ?
Il faut en effet des investissements avec des niveaux d’amortissement de très long terme. Regardez les canalisations d’eau, qui fonctionnent au-delà de cinquante ans : l’endettement doit être d’une durée similaire. Au-delà, il faut une autre approche de l’endettement, avec de l’endettement vert, vertueux. Un travail d’explication est nécessaire. Car pour financer la transition écologique, il faut bien de la dette ! Ce ne sont pas des crédits à la consommation pour acheter une télévision ou un portable que nous demandons, mais des investissements bonifiés avec une visibilité et une durée d’amortissement longue. 

Plus largement, que demandez-vous au gouvernement ? 
Il nous faut de la visibilité sur la durée et la possibilité de contractualiser. La planification a été érigée en priorité gouvernementale l’an passé. Nous, cela fait plus de dix ans que nous mettons en œuvre des plans locaux, à l’image des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Nous mettons en œuvre des dispositifs en matière de transports et de mobilités à l’échelle des bassins de vie. Nous travaillons sur la rénovation de l’habitat avec une efficacité qui serait renforcée si nous disposions, comme pour la délégation des aides à la pierre, des aides à la rénovation énergétique. Nous pourrions proposer des travaux plus complets que les seuls remplacements des chaudières par des pompes à chaleur, comme c’est le cas avec “MaPrimeRénov”. Avec nos plates-formes de rénovation énergétique, les usagers repartent avec des bouquets de travaux complets. Au-delà, qui va réduire la production de déchets sinon les intercommunalités avec la compétence dédiée ? Qui va mieux gérer la gestion de l’eau sinon les intercommunalités via leurs compétences sur l’eau et l’assainissement ? Qui a mis en place des plans de sobriété énergétique dont l’efficacité dans certains territoires, comme le mien, est largement supérieure aux objectifs fixés par le gouvernement ? Je veux bien que de grands plans nationaux soient décidés, mais cela restera lettre morte si l’on n’embarque pas l’ensemble des territoires et des intercommunalités. 

Le politique est là pour expliquer et accompagner les citoyens vers les changements structurels, dire la réalité des choses.

En matière de planification, comment travaillez-vous avec le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), lancé l’an dernier par Élisabeth Borne ? 
Les équipes d’Intercommunalités de France travaillent intelligemment avec le SGPE, qui déploie des bons outils d’accompagnement pour valoriser l’action des élus. Pour résumer, la consommation d’énergie relève pour un tiers des transports, pour un tiers de l’industrie et pour un tiers de l’habitat. L’action du SGPE permet de donner de la cohérence et de la consistance aux politiques portées par les intercommunalités, qui ont un impact fort sur les problématiques de transport et d’habitat. Cela donne le cadre global de l’action et montre quels sont les grands blocs sur lesquels agir et comment orienter l’action publique dans les territoires. La question est de savoir si le SGPE va descendre à la maille intercommunale. Si l’on ne descend pas à une maille suffisamment fine, alors on va rester au stade des ambitions. Il faut pouvoir individualiser le plus précisément possible l’intervention publique. Évidemment, Intercommunalités de France continuera de travailler avec le SGPE. 

En quoi les transitions sont-elles une question politique, thème que vous avez retenu comme fil rouge de la 33e Convention des intercommunalités de France, qui se tiendra du 11 au 13 octobre à Orléans ? 
Ce thème, “les transitions, une question politique”, rythmera en effet nos échanges. Nous l’avons retenu pour différentes raisons. D’abord, nous irons dans le mur si nous ne retenons qu’une approche technique. Le politique est là pour expliquer et accompagner les citoyens vers les changements structurels, dire la réalité des choses. On parle de changement de comportements et d’habitudes, et le changement n’est pas dans la nature humaine. Il nous appartient de faire preuve de pédagogie et surtout d’inventer les dispositifs d’accompagnement. Car un véhicule électrique, cela coûte cher. Il faut imaginer des réponses, mettre des flottes de véhicules en autopartage, adapter les mobilités, etc. L’autre enjeu tient à la nécessité d’aborder les transitions comme un défi stimulant. Elles nous amènent à sortir de notre “train-train”, à nous remettre en question. Et c’est passionnant ! 

Comment favoriser l’acceptabilité sociale, alors que la transition coûte cher ? 
Nous ne sommes pas élus pour faire ce qui est le plus facile, mais pour trouver des solutions quand tout paraît impossible. Car une voiture électrique coûte plus cher qu’une voiture à essence. La transition a effectivement un coût. Il faut concerter, il faut expliquer. Mais les gens s’engagent et ils agissent. Il faut les encourager : ils achètent des récupérateurs de pluie, ils font attention à leur consommation d’eau, ils participent au développement du compostage… Les exemples sont nombreux et nous devons les valoriser. Les Français ne sont pas des “Gaulois réfractaires”, comme l’avait dit le président de la République. À nous d’agir également avec des projets structurels, telle la rénovation thermique, mais aussi des interventions du quotidien qui ont de l’impact. Dans ma collectivité – le Grand Chalon – nous avons imposé le port du bonnet de bain à la piscine, ce qui a permis d’économiser l’équivalent de 2,5 bassins olympiques ; nous avons baissé d’un degré l’eau de la piscine et revu les horaires d’ouverture, soit une réduction de 24 % de la consommation énergétique ; nous avons pareillement réduit de 26 % la consommation énergétique de notre grande salle omnisports. Arrêtons de dire aux gens que c’est difficile, qu’ils ne peuvent rien faire. Il faut positiver cette transformation à laquelle toutes et tous prennent leur part. 

L’État doit décentraliser les moyens de la rénovation thermique des logements.

L’exécutif a évoqué une nouvelle étape de décentralisation. Faut-il une nouvelle loi ?
Regardez la loi Climat et Résilience (août 2021) et son objectif d’atteindre le “zéro artificialisation” des sols en 2050, qui a été revu [le Parlement a voté en juillet dernier la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi ZAN]. On le voit : tout ne se règle pas par la loi. Et cela d’autant plus qu’il ne se passera rien au Parlement en matière de décentralisation du fait de la majorité relative dont dispose l’exécutif et d’accords impossibles à trouver. Il y a eu le Conseil national de la refondation, la “nuit de Saint-Denis” qui, au final, n’apportent pas grand-chose. Moi, je crois à la politique des petits pas. Nous avons fait des propositions concrètes pour décentraliser la politique de l’habitat et du logement pour permettre aux intercommunalités qui le souhaitent de devenir autorités organisatrices de l’habitat dans leur territoire. L’État doit décentraliser les moyens de la rénovation thermique des logements. Tout ne doit pas venir d’en haut. J’utilise parfois cette formule : l’État doit s’occuper de ses hôpitaux, ses prisons et ses tribunaux ; qu’il laisse les intercommunalités rénover leurs logements. Chacun intervient à son échelle.

Dans le manifeste d’Intercommunalités de France sur les bassins de vie, l’an passé, vous mettiez en avant les enjeux de confiance, de réindustrialisation, de “France durable et solidaire”. Un an plus tard, êtes-vous confiant ? 
Je l’évoquais au sujet de la planification : nous serons plus efficaces, État et territoires, si nous travaillons dans un dialogue de confiance et de respect et si l’on peut s’engager dans une trajectoire partagée. Mais si la relation État-territoires est importante dans la vie publique parce que notre pays s’est construit ainsi, nous avons aussi une capacité d’initiative. Les acteurs territoriaux ont des équipes, des ingénieries et des moyens financiers qui leur permettent de déployer des politiques publiques. Si nous n’étions que des sous-traitants de l’État, alors il ne se passerait pas grand-chose. Il nous faut essayer de trouver des réponses par nous-mêmes. 

J’aimerais que l’on parle des présidents d’intercommunalité qui sont confrontés eux aussi à des maires ingérables, qui leur mettent une pression forte dans les conseils communautaires.

Quid de l’intégration des communes au sein des intercommunalités ? On entend parfois certains maires dire qu’ils ne sont pas suffisamment bien représentés ou écoutés. Le constatez-vous ? 
Dans la grande majorité des intercommunalités, les relations sont très bonnes, mais on ne parle que de là où quelques tensions sont observées. C’est pénible. C’est par la coopération que des solutions appropriées seront trouvées, et faire croire que l’on s’en sortira chacun dans son coin est une aberration. On parle souvent de la fatigue des maires face à des conseils municipaux ingérables. J’aimerais que l’on parle aussi des présidents d’intercommunalité qui sont confrontés eux aussi à des maires ingérables, qui leur mettent une pression forte dans les conseils communautaires. Récemment, David Lisnard, le président de l’AMF, a évoqué la démission des maires en mentionnant des agressions et des tensions dans l’exercice de leurs missions. Il n’a aucunement mentionné l’intercommunalité. Alors cessons de faire parfois porter le chapeau aux intercommunalités, dont les présidents sont pleinement engagés pour mettre en œuvre des politiques publiques dans le cadre de prérogatives qui ont été fixées par la loi. 

Vous avez récemment fait un “tour de France des intercommunalités”. Quel bilan en faites-vous ? 
J’ai effectué plus de 130 déplacements, et c’est enthousiasmant. Beaucoup de gens parlent des intercommunalités depuis Paris sans connaître leur rôle. Je les invite à se déplacer comme je l’ai fait à la rencontre d’élus pleinement mobilisés pour porter des politiques locales adaptées à leurs territoires, pour s’engager en faveur de solutions durables, pour faire des économies d’échelle, pour répondre à des situations de détresse sociale, pour faire beaucoup avec peu. Ils verront la richesse de l’intercommunalité. Nous sommes l’association capable de réunir le plus grand nombre d’élus dans un congrès de France hors de Paris : quelque 2 000 élus à Bordeaux l’an passé et de nouveau cette année à Orléans, du 11 au 13 octobre pour notre prochaine convention nationale. Cela se respecte. 

* Le HCFPL est composé du ministre de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique, du ministre délégué chargé des Comptes publics, de la ministre déléguée chargé des Collectivités territoriales et de la Ruralité, du Premier président de la Cour des comptes, des présidents des commissions des finances du Parlement, des rapporteurs généraux du budget au Parlement, du président du Comité des finances locales, du président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités, de la présidente de Régions de France, du président de Départements de France.

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Club des acteurs publics

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